Terres rares: une dépendance au "dealer" chinois encore trop forte ?
Libre Eco Week-end | La Chine a réussi à détenir un quasi-monopole au niveau de la production de terres rares, ces matériaux stratégiques. Mais le reste du monde se réveille.
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Publié le 05-05-2023 à 13h03
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La Chine, dealer hors pair de terres rares, qui profite d’une ribambelle de toxicos dans le monde. Une caricature ? À peine.
Mais reprenons. Les terres rares, ce sont dix-sept éléments chimiques et/ou métalliques devenus au fil du temps incontournables dans nos sociétés. Smartphones, écrans, lampes, batteries, voitures, Led, disques durs, éoliennes, panneaux photovoltaïques et tout ce qui touche à la digitalisation. Toutes ces technologies peuvent comporter des terres rares. Environ 3 grammes pour un smartphone et jusqu’à 600 kilogrammes pour une éolienne offshore. Et la Chine a développé sa production de terres rares depuis des décennies, en particulier sous la direction de Deng Xiao Ping dans les années 1980. Elle est d’ailleurs devenue numéro 1 mondial en termes de production depuis lors, alors que les États-Unis étaient l’acteur majeur avant cette décennie.
Quelles sont les technologies dépendantes ?
Pour comprendre leur intérêt sans rentrer trop en détail dans la technicité de ces terres rares (qui ne sont pas si "rares" mais dont les gisements ne sont pas forcément "denses" et donc dont l’extraction peut être complexe et parfois peu rentable), prenons l’exemple du néodyme : cet élément (souvent associé à une autre terre rare, le dysprosium) permet de créer des aimants extrêmement puissants pour des tailles limitées. Ce qui permet de créer des vibreurs ou autres éléments dans les smartphones mais aussi des moteurs d’éoliennes sans engrenages (idéal pour réduire les phases d’entretien pour les éoliennes offshore car les déplacements en pleine mer coûtent cher et sont complexes) ou encore d’optimiser la performance des voitures électriques. Entre autres. La Chine, grâce à une production à bas coût, avec des normes environnementales peu strictes jusque dans les années 2000, a inondé le marché avec ses terres rares peu chères et a rendu le monde entier dépendant. Allant jusqu’à en produire plus de 90 % dans les années 2010. Mais, depuis, le reste du monde s’est réveillé et a commencé à en produire, quitte à le faire à un prix plus élevé, pour réduire sa dépendance.

Néanmoins, la Chine reste numéro 1 actuellement, et de loin, avec près de 70 % de la production en 2022 (voir infographie). Un différend géopolitique qui l’a opposé au Japon en 2010 a sans doute permis de réveiller les consciences. À la suite d’une détention par le Japon d’un capitaine de chalutier chinois qui naviguait près des Îles Senkaku - territoires disputés par la Chine -, le pays a arrêté ses exportations de terres rares vers l’Empire du Soleil levant. Ce qui a provoqué une chute de la Bourse de Tokyo, constituée de nombreuses entreprises technologiques… extrêmement dépendantes des terres rares.
Pourquoi le prix des terres rares "n’explose" pas
Si le prix du néodyme, entre autres, a flambé au début des années 2010 et que l’on constate une tension à la hausse en 2022, les prix sont finalement restés relativement stables (environ 150 000 euros la tonne tout de même, contre trois fois moins dans les années 2000) alors que la demande (de par la digitalisation généralisée, l’électrification de nos modes de vie et la transition énergétique) ne fait que grimper.
D’abord, on peut avancer l’hypothèse que la Chine a volontairement produit des terres rares à des prix extrêmement faibles afin d’étouffer toute concurrence. L’État chinois a même fermé les yeux sur les activités d’entreprises ayant des activités illégales sur son territoire afin de maintenir ses exportations élevées. Mais le pays change peu à peu de stratégie afin de raffiner ces matériaux sur son territoire et même produire les objets finis, à forte valeur ajoutée, à l’intérieur de ses frontières.
Ensuite, les États-Unis et l’Australie ainsi que d’autres pays asiatiques ont relancé ou renforcé leur présence dans cette industrie minière également. Seul le Brésil semble faire exception : alors que le pays dispose de grandes réserves, sa production annuelle a chuté à seulement 80 tonnes de terres rares en 2022, contre 2 200 tonnes en 2016. Le recyclage a également permis d’atténuer légèrement la pression. Enfin, si aucun matériau n’arrive à reproduire les capacités techniques des terres rares, des alternatives ou matériaux de substitution ont été mis en place afin de se passer des terres rares, quitte à perdre en rendement. C’est le cas, par exemple, dans certains panneaux photovoltaïques. Ce qui a permis de stabiliser en partie les prix.

Ou des prix qui n’explosent pas encore ?
"Néanmoins, les smart grids (réseaux électriques intelligents, NdlR) et autres exigeront énormément de métaux", avance Annabelle Livet, spécialiste des questions de sécurité énergétique pour la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Mais pas uniquement des terres rares donc. "Pour le moment, la situation est relativement maîtrisée car nous ne sommes qu'à l'émergence des technologies bas carbone. Mais avec les ambitions (européennes mais pas uniquement), en termes de transition énergétique et de numérisation, la pression sur les métaux, en général, et, en particulier, le lithium, cela va changer", avance-t-elle.
"La France, par exemple, travaille sur les questions de souveraineté. Mais l'Allemagne a une vision plus libérale. Elle se lance à fond dans la transition, se rend très dépendante des métaux mais semble manquer d'une vision à ce niveau. Elle estime que la liberté de commercer et les marchés permettront de suivre. Mais avec les besoins qui explosent partout, ça pourrait rendre la situation beaucoup plus critique", prévient-elle.
D’autres secteurs stratégiques sont-ils concernés ?
Si les terres rares sont utilisées dans tout ce qui est high tech, elles sont également présentes dans l’industrie médicale mais aussi… dans celle de l’armement. Missiles, systèmes de guidages, équipements de télécommunications miniaturisés, satellites, radars, drones, viseurs, générateurs de champs magnétiques…, les applications sont nombreuses. L’industrie reste discrète à ce niveau mais la dépendance vis-à-vis de la Chine à ce propos est clairement problématique. D’où la remise en route de certaines mines dont l’une des plus grandes, celle de Moutain Pass en Californie en 2012 (mise sous cocon pendant un temps auparavant. Mais des investisseurs chinois ont réussi à prendre des parts).
La sécurisation en approvisionnement, en raffinage et en production de produits finis liés aux terres rares fait donc partie des points stratégiques à ne pas perdre de vue, faute de devoir retourner voir un dealer pas toujours bien intentionné.
Quelques-unes des 17 terres rares
Néodyme : aimants puissants et systèmes de guidage, éoliennes, smartphones, voitures hybrides et électriques… Environ 150 000 dollars la tonne actuellement.
Dysprosium : aimants permanents. Applications médicales. Environ 500 000 dollars la tonne.
Lanthane : batteries, caméras, ordinateurs, smartphones. Environ 20 000 dollars la tonne.
Terbium : ampoules, écrans, tubes fluorescents. Environ 500 000 dollars la tonne.
Cerium : polissage, catalyseurs, réduction de pollution. Environ 370 000 dollars la tonne.
Terbium : lasers. Environ 500 000 dollars la tonne.
Europium : billets de banque (euros). Lors d’exposition aux U.V., les billets émettent une fluorescence spécifique. Entre 700 000 et 1 million d’euros la tonne.

Notre dossier spécial sur les terres rares:
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