"La Russie cannibalise ses avions et, pour l’instant, cela semble fonctionner" : l’étonnante résistance de l'aviation russe
La guerre en Ukraine a redistribué les cartes du secteur aérien en Europe. La Turquie en profite, l’Allemagne et les pays de l’Est souffrent. Le retour à la situation d’avant Covid n’est pas prévu avant 2025 sur le Vieux Continent, même si certains aéroports, comme Charleroi, s’en tirent mieux que d’autres.
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Publié le 11-05-2023 à 07h54 - Mis à jour le 11-05-2023 à 10h13
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Des avions sans pièces de rechange, ni techniciens qualifiés pour les entretenir, des territoires entiers interdits d’accès : avec les sanctions occidentales liées à l’invasion de l’Ukraine, d’aucuns avaient annoncé la fin rapide de l’aviation commerciale russe. Il n’en est rien, si l’on en croit les chiffres officiels récents – “fiables à 80 %”, selon les termes d’Olivier Jankovec, le directeur général de l’association d’aéroports ACI Europe.
“Les principaux aéroports russes continuent de nous communiquer leurs résultats, explique le dirigeant français. Et force est de constater que l’aviation commerciale russe semble faire mieux que résister à cette situation de guerre, puisqu’elle a quasiment retrouvé ses chiffres d’avant Covid”. La patrie de Poutine fait ainsi mieux que l’ensemble de l’Europe, où le trafic est toujours moindre de 12 % qu’en 2019 sur les trois premiers mois de l’année. “La Russie cannibalise ses avions (processus qui consiste à utiliser des pièces d’un avion cloué au sol pour réparer un autre en service, NdlR) et pour l’instant, cela semble fonctionner”.
La Serbie, l’Arménie et la Turquie pour accueillir les Russes
Le pays peut aussi compter sur son “immense” marché intérieur et a “redistribué” sa carte de destinations, suite à l’interdiction de vols des compagnies en Europe et aux États-Unis : les aéroports d’Ouzbékistan, d’Arménie, du Kazakhstan et d’autres pays d’Asie Centrale sont en plein boom, certains ont quasiment vu doubler leur nombre de passagers par rapport à 2019.

La Serbie (+26 %) serait aussi une destination plébiscitée, tandis que sept millions de Russes – contre 5,5 millions l’an dernier – sont attendus cette année en Turquie, avec près de 1 200 vols prévus par semaine cet été entre les deux pays. Notons que les compagnies russes évitent de voler en Turquie avec des avions occidentaux volés au début du conflit par peur de se les faire confisquer par les autorités. “Mais dans le reste des pays asiatiques, il n’y a pas d’accord de ce type et les transporteurs russes peuvent opérer sans crainte”, développe M. Jankovec.
Le “cauchemar” vécu par les dirigeants de Finnair
Mais tous les voisins de la Russie ne profitent pas de cette situation. Outre l’Ukraine qui n’a plus vu un avion commercial atterrir sur son sol depuis le début de la guerre, différents pays de l’Est, comme la Slovaquie (-44.9 %), la Slovénie, (-41.2 %) mais aussi l’Allemagne (-32 %) souffrent, entre autres, de l’interdiction de vol sur l’immense territoire russe. “Du jour au lendemain, nous avons dû tout changer, se souvient Aaron Mc Garvey, responsable de la stratégie réseaux de la compagnie Finnair, dont la réussite dépendait de cet espace aérien russe.
Vu la position stratégique de son hub à Helsinki, la compagnie finnoise s’est ainsi spécialisée dans les vols entre l’Europe et l’Extrême Orient, en survolant la Russie. Avant le Covid, Finnair effectuait ainsi plus de vols entre l’Asie et l’Europe qu’Air France ou British Airways. “Pour nous, cette guerre est un cauchemar : la crise est bien plus importante que celle du Covid. Nos avions sont désormais. obligés de faire des détours de plusieurs heures pour arriver à leurs destinations asiatiques. On passe parfois par le pôle Nord, on avait pensé faire un transit via l’Alaska. Chaque jour, on revoit nos routes en fonction des vents”, témoigne M. Mc Garvey.
Montée en puissance d’Istanbul et… Charleroi, chute d’Amsterdam et Francfort
Pour le reste, la reprise est très déséquilibrée au sein du Vieux Continent. En fait, ce sont surtout les pays du Sud qui obtiennent les meilleurs résultats et ce n’est pas vraiment une surprise : le rebond du secteur aérien européen est avant tout poussé par les vols touristiques et de visites de proches. “Les vols d’affaires ne sont pas vraiment de retour”, analyse M. Jankovec. Les compagnies low cost (Ryanair, +24 % et Wizz Air, +49 %) n’ont jamais autant accueilli de voyageurs dans leurs avions. Charleroi est d’ailleurs l’un des aéroports à la plus forte progression en Europe (+16 % par rapport au premier trimestre de 2019), là où Brussels Airport n’a pas encore atteint son niveau d’avant Covid, comme un peu plus de la moitié des aéroports en Europe.
“On s’attend à ce que le secteur revienne à sa situation d’avant pandémie en 2025”, poursuit Olivier Jankovec. Malgré l’inflation, la demande est là, mais l’offre ne suit pas toujours, avec notamment des retards dans les livraisons d’avion et une pénurie de personnel. La décarbonation du secteur, avec notamment l’obligation prochaine d’utiliser du carburant durable, pourrait faire monter les prix de 17 % sur les vols intra-européens.
Enfin, il y a du changement dans le classement des aéroports les plus fréquentés en Europe, avec le recul d’Amsterdam, de la troisième à la cinquième place et celui de Francfort qui sort du Top 5 au profit de Madrid. Le classement confirme la montée en puissance d’Istanbul qui passe de la quatrième à la deuxième place juste derrière Londres Heathrow.