Comment l'Inde est en train de supplanter la Chine
Libre Eco week-end | Le dossier. Des centaines de millions de clients potentiels ? Derrière ces chiffres qui font saliver les entrepreneurs, il y a une réalité un peu moins rose.
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Publié le 19-05-2023 à 13h20
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Commerce, manufacture, usines high tech, main-d’œuvre abondante…. Il n’y en a plus que pour l’Inde actuellement. Cette semaine, une délégation indienne emmenée par Plyush Goyal, le ministre indien du Commerce et de l’Industrie, a été reçue par la Fédération des entreprises de Belgique pour évoquer le potentiel de relations économiques bilatérales. Au terme du sommet du G7 qui s’est tenu le week-end dernier à Niigata (Japon), on a parlé de la mise en place d’ici à la fin de cette année d’un mécanisme visant à diversifier les chaînes d’approvisionnement mondiales, afin de réduire notamment la dépendance des pays développés vis-à-vis de la Chine dans les secteurs stratégiques.
1. Un partenaire de substitution
La pandémie et les tensions géostratégiques ont en effet révélé les risques liés à la trop grande dépendance des économies développées à celle de la Chine. C’est que l’“atelier du monde” a montré durant la crise sanitaire son caractère incontournable et sa propre dépendance à un seul dirigeant, capable, comme on l’a vu ces derniers mois, de commettre des erreurs stratégiques en paralysant des régions entières avant de relâcher la pression d’un seul coup. Partout, la réflexion stratégique pose la question de cette dépendance, de la relocalisation de la production de composants électroniques, des chaînes d’approvisionnement.
Mais le coût de l’emploi aux États-Unis comme en Europe laisse une porte grande ouverte aux pays asiatiques hors Chine. Et puis, il y a une dynamique économique qui rappelle celle de la Chine avant le hoquet du Covid-19. Avec la perspective à la fois d’une souplesse et d’une rapidité appréciables dans le déploiement des forces de production, et celle d’un marché intérieur en pleine expansion. En pleine expansion, avec une perspective de croissance à long ou très long terme.

2. Croissance démographique
Il y a quelques semaines, en effet, les statistiques démographiques ont montré deux éléments. Le premier, c’est la poursuite de la croissance démographique de l’Inde avec 1,428 milliard de personnes. Le second, c’est le pic de population atteint par la Chine avec 1,426 milliard de personnes. Un pic, parce que les projections montrent pour la suite une décroissance de la population, là où elle croît en Inde, ce qui implique la révision de certaines estimations.
D’aucuns assurent que l’économie chinoise censée dépasser celle des États-Unis dans les années à venir, va plutôt afficher un tassement, au fil du vieillissement de sa population. La lourde facture de la politique de l’enfant unique mise en place par la Chine de 1979 à 2015, va devoir être assumée sur le long terme. Comme le coût du durcissement des relations avec les États-Unis et leurs alliés. Les observateurs de la démographie chinoise parlent du phénomène 4-2-1. À terme, chaque enfant sera responsable de ses deux parents et de ses quatre grands-parents…
3. Croissance économique
Les confinements oubliés, la Chine, comme l’Inde, a retrouvé une vitalité économique incontestable, mais l’Inde garde la main avec une croissance estimée du PIB (Produit intérieur brut) pour l’année en cours de 5,9 % face au 5,2 % affichés par l’économie chinoise. Les projections à plus long terme montrent un tassement pour la Chine et une croissance plus vigoureuse pour l’Inde. Avec sans doute l’émergence de nouveaux marchés à l’exportation et la croissance d’un marché intérieur alimenté par une classe moyenne de plus en plus aisée.

4. Un marché alléchant ?
Il y a évidemment le nombre de consommateurs potentiels qui attire les entrepreneurs étrangers, à l’image de Fabien Pinckaers, le patron de la société belge de logiciels de gestion d’entreprise Odoo. Celui-ci va s’installer en Inde pour une année, afin d’y développer son marché et trouver des forces vives pour le développement de ses outils numériques.
Il y a quelques jours, le patron d’Apple, Tim Cook lui-même, a participé à l’ouverture d’un Apple Store à Bombay, puis d’un autre à Delhi, la capitale. Le groupe a bénéficié de conditions spéciales, les investissements étrangers restant très réglementés en Inde.
Les usines d’assemblage de smartphones suivront. Pour preuve, le géant taïwanais Foxconn, gros fournisseur d’Apple, très présent en Chine (à Shenzhen), a annoncé cette semaine l’acquisition d’un terrain de 1,2 million de mètres carrés à Devanahalli, près de l’aéroport de Bangalore, dans une région baptisée “Silicon Valley indienne”. Le groupe qui est déjà présent en Inde suit donc son très gros client. Et pour sa part, Apple joue sur deux tableaux : la diversification des sources d’approvisionnement, et quelques pour-cent d’un marché fort de 600 millions d’utilisateurs de smartphones.
5. Des riches, des pauvres, des problèmes
Des centaines de millions de clients potentiels ? Derrière ces chiffres qui font saliver les entrepreneurs, il y a une réalité un peu moins rose, un marché hétérogène et des réalités démographiques asymétriques. Ainsi, si l’industrie et donc la richesse sont concentrées dans les régions du sud et de l’ouest de l’Inde, la croissance de la population y est beaucoup plus faible que dans les régions du nord de l’Inde plus pauvres où les familles ont davantage d’enfants.
Le gouvernement tente donc d’organiser des migrations économiques pour amener la main-d’œuvre vers les zones développées, notamment par une politique de digitalisation administrative (carte d’identité électronique) facilitant l’inclusion financière. Mais cela prend du temps.
Et si l’on a sans doute évité d’évoquer les sujets qui fâchent lors du passage cette semaine du ministre indien du Commerce et de l’Industrie au Parlement européen, des problèmes existent qui ont déjà été soulignés en son sein. On parle ici de la détérioration de la situation des droits humains, de discriminations de minorités religieuses ou encore de la liberté de la presse.