Le "véritable coût" de la décarbonation de l’Europe : "C’est gigantesque"
L’Académie de l’air et de l’espace tire la sonnette d’alarme. Sans investissements massifs, l’union européenne ne respectera pas ses engagements climatiques.
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- Publié le 30-05-2023 à 10h00
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L’Europe est "au pied du mur énergétique". Le constat provient de l’Académie de l’air et de l’espace, qui regroupe d’anciens ou d’actuels industriels, ingénieurs, chercheurs, pilotes, astronautes, mais aussi médecins, juristes, économistes ou écrivains ayant une expertise dans le secteur.
Le but de l’Académie, à l’origine française mais qui s’est élargie au niveau européen, est de "promouvoir le développement d’activités scientifiques, techniques, culturelles et humaines de haute qualité dans les domaines de l’aéronautique et du spatial".
La semaine dernière, une délégation d’académiciens est venue à Bruxelles avec un rapport en main qu’ils ont présenté à différents députés européens. Son titre : Comment décarboner le secteur aérien ? En fait, le constat tiré est bien plus large que l’aviation et englobe la transition énergétique dans son intégralité. "On s’est rendu compte que l’aviation était le canari dans la mine en Europe", explique Xavier Bouis, l’ancien directeur technique général du Centre français de recherche aérospatiale (Onera).
"Se débarrasser des postures et des a priori de part et d’autre"
L’Académie en est consciente : les débats sont souvent chauds quand on évoque aviation et écologie. "Nous ne défendons pas un intérêt plutôt qu’un autre, précise l’organisme. Le plus important est de se débarrasser des postures et des a priori de part et d’autre. L’aviation bashing est injuste et ridicule ; à l’inverse, le refus techniciste et conservateur de questionner la voracité énergétique des sociétés contemporaines, aviation comprise est une impasse. Entre ébriété et sobriété, il faut choisir ; à l’inverse, sobriété et efficacité ne sont pas rivales mais complémentaires, à des dosages que nul ne peut encore prédire."
L'aviation bashing est injuste et ridicule; à l'inverse, le refus techniciste et conservateur de questionner la voracité énergétique des sociétés contemporaines, aviation comprise, est une impasse.
Parlons technologies, donc. Les académiciens partent d’un constat. Le secteur aérien sera le moyen de transport le plus difficile à dépolluer. Pour des raisons de sécurité évidente, les technologies déployées à 10 000 mètres d’altitude ne peuvent pas avoir la même efficacité que celles utilisées au sol… "Les technologies économes en énergie, électriques et hybrides, qu’utiliseront d’autres acteurs comme le transport terrestre resteront pour l’aérien limitées aux vols de courtes distances avec de petits appareils", insistent les académiciens. Des vols qui, "du point de vue des émissions ne poseront pas d’énormes problèmes".
"Des avions à hydrogène en grande quantité ? Une utopie"
Le gros du chantier concerne donc les vols plus longue distance, "la raison d’être de l’aviation", qui sont les plus polluants. Les vols de plus de 1500 km représentent moins de 30 % du nombre de vols mais 75 % des émissions de CO2 du transport aérien. Là aussi, certains académiciens veulent mettre fin à "des fantasmes". "Je lis beaucoup de bêtises dans la presse, s’insurge Xavier Bouis. Penser qu’on arrivera à faire voler une bonne partie des avions avec de l’hydrogène d’ici quelques années est complètement utopique."
Pour l’académicien, la meilleure solution pour arriver à une aviation décarbonée en 2050 est donc de miser massivement sur le carburant durable. "Il y a deux types de carburants, ceux d’origine biologique, fabriqué à partir de colza ou de l’huile de friture usagée par exemple et les carburants synthétiques, poursuit M. Bouis. Ce sont ces derniers qui ont, selon nous, un vrai potentiel. En fait, c’est la voie royale : on va utiliser du gaz carbonique trouvé dans l’air et on le marie avec de l‘hydrogène obtenu par électrolyse".
7000 milliards d’euros à investir
Le processus est particulièrement vertueux. Seul souci, et il est de taille, l’électrolyse de l’hydrogène demande une énorme production d’électricité verte. "Les différents États ne donnent pas les vrais chiffres dans leurs plans : il faut multiplier par trois la production d’électricité verte dans les prochaines années si l’on veut réussir cette décarbonation de la société. C’est gigantesque."
Selon l’Académie, il faut donc créer massivement des champs solaires et éoliens, tout en continuant d’investir dans le nucléaire. Les académiciens ont sorti leur calculatrice. "Pour tenir ses engagements climatiques, l’Europe doit investir près de 7 000 milliards d’ici 2050 en production d’énergie verte, soit plus de 250 milliards d’euros par an, à supposer que l’on démarre immédiatement." Et de conclure : "Il faudra faire des choix financiers et de société".