Cri d’alarme des Belges éjectés de leur banque parce qu’ils résident hors de l’UE : “Les banques n’apportent aucune justification dans leur courrier”
Cette exclusion pose de sérieux problèmes aux clients visés, qui sont de plus en plus nombreux. Ils appellent le monde politique à trouver une solution.
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- Publié le 30-08-2023 à 09h29
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Certains habitent l’île Maurice, d’autres à Cape Town, à Beyrouth, à Brazzaville ou à Kinshasa. Ils sont tous de nationalité belge ou d’un pays de l’Union européenne résidant à l’étranger. Et tous sont confrontés au même phénomène de fermeture de leur compte bancaire en Belgique de manière unilatérale et brutale. Certains d’entre eux ont placé cet argent depuis des lustres. Il n’y a aucune raison d’avoir des suspicions sur l’origine de l’argent. Les témoignages de ces clients éjectés récoltés par Dimitri Yannakis, qui fut notamment responsable du département non-résident private banking à la banque Ippa (groupe Royale belge), sont de plus en plus nombreux – au moins plusieurs centaines – et parfois pathétiques.
”On ne se rend pas compte à quel point les gens peuvent être désemparés. Ils le sont d’autant plus que les délais pour la clôture sont souvent courts”, nous explique-t-il. Ce qui est grave à ses yeux, “c’est que les banques n’apportent aucune justification dans leur courrier. Et il est fréquent qu’elles ne préviennent même pas les agents locaux qui se disent impuissants face aux instructions données par les services de compliance, lesquels se retranchent derrière les directives européennes.” Les clients sont d’autant plus démunis qu’ils ne peuvent pas faire appel. Or certains d’entre eux ont un besoin impérieux d’avoir un compte en Belgique pour notamment percevoir leur pension, recevoir les loyers de biens immobiliers loués en Belgique, faire des opérations avec leurs enfants quand ils sont en Belgique.
Il arrive aussi que, dans certains cas, les banques demandent une présence physique pour la clôture du compte. Ce qui pose problème aux personnes qui vivent au bout du monde et, parfois, en situation de handicap.
Lourdeurs administratives
C’est le pot de terre contre le pot de fer. Car les banques sont dans leur droit. Elles peuvent en effet résilier un contrat sans devoir se justifier. Et quand elles donnent des explications, c’est pour dire qu’il y a trop de lourdeurs administratives en raison des nouvelles normes anti-blanchiment. “Mais la raison fondamentale, c’est qu’ils ne veulent pas de ces clients”, poursuit Dimitri Yannakis.
Pour Me Didier Chaval, qui a déjà dû intervenir pour des clients mis en difficulté par cette fermeture de compte, “les banques vont au-delà de leurs obligations, qui ne consistent pas à mettre fin à la relation bancaire avec leur client, mais à disposer de certains documents administratifs. Il faut espérer qu’un jour le monde politique se réveille et trouve une solution comparable à celle qui existe en France”, nous explique-t-il. Et de faire référence à la mesure récemment inscrite dans le Code monétaire et financier, laquelle donne droit à toute personne de nationalité française, même résidant hors de France, à disposer d’un compte bancaire en France et prévoyant, en cas de refus d’un établissement bancaire, le recours à la Banque de France qui imposera à un établissement de crédit d’ouvrir un compte au demandeur.
Proposition de loi
En Belgique, le thème de l’exclusion bancaire a déjà été pointé du doigt par le monde politique, en particulier par les socialistes. “Nous avons déposé un texte avec mon collègue André Flahaut. Cette situation est en effet intolérable et ne repose sur rien, si ce n’est le prétexte de l’application des règles en matière de prévention du blanchiment. La vraie raison est à chercher dans la volonté des banques de se débarrasser des clients qui ne leur rapportent pas assez. C’est inacceptable”, nous explique le député fédéral PS Ahmed Laaouej. Le texte a été déposé le 28 juin dernier et sera pris en considération à la rentrée parlementaire.
Du côté des banques, on rappelle qu’il existe un service bancaire de base tant pour les entreprises que pour les particuliers. Celui-ci prévoit que tout consommateur résidant légalement dans un État membre de l’Union européenne a droit au service bancaire de base. Les banques qui souhaitent offrir des services en dehors de l’UE doivent se conformer à des obligations supplémentaires, conformément à la législation antiblanchiment d’argent, explique encore Febelfin. Qui martèle qu’une extension du service bancaire de base actuel “entraînerait des défis spécifiques concernant l’application et le respect des réglementations antiblanchiment”.
Du côté des banques : “liberté contractuelle”
Febelfin, qui représente le secteur financier en Belgique, rappelle que pour les Belges qui résident en dehors de l’Union européenne, “il n’y a pas d’obligation pour les banques d’offrir un service bancaire de base et la liberté contractuelle doit pouvoir s’appliquer”.
Les banques qui souhaitent offrir des services en dehors de l’UE doivent se conformer à des obligations supplémentaires, conformément à la législation antiblanchiment d’argent. Pour l’identification des clients, elles devraient essentiellement avoir recours à des mesures d’identification à distance, “rendant la vérification de l’identité du client plus complexe”.
Du côté politique : proposition de loi PS
La proposition de loi cosignée par les députés PS Patrick Prévot, André Flahaut et Ahmed Laaouej prévoit trois mesures. Un : “les banques devront justifier, sérieusement et par écrit auprès du SPF Économie, leur décision de refuser d’ouvrir un compte bancaire ou d’en fermer un. Si celles-ci ne sont pas suffisantes aux yeux du SPF Économie, alors la banque aura l’obligation d’ouvrir ou de maintenir le compte bancaire”, explique Ahmed Laaouej. Deux : une entreprise pourra prétendre au bénéfice du service bancaire de base à partir du moment où elle pourra établir le refus d’ouverture d’un compte bancaire par au moins deux banques. Trois : le texte vise à permettre aux Belges résidant hors de l’Union européenne d’accéder au service bancaire de base.