Après les "fiascos" de plusieurs chantiers, la filière nucléaire pourra-t-elle réapprendre à respecter les délais et les budgets ?
Libre Eco week-end | Retour en force du nucléaire ? La filière devra résoudre ses problèmes de dépassements de budget et de délais pour s'imposer.
- Publié le 08-09-2023 à 15h58
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Les déboires de l’EPR, le réacteur français de troisième génération, ont abîmé l’image de l’énergie nucléaire, en particulier celle du groupe français EDF.
Le chantier de l’EPR d’Olkiluoto, en Finlande, a commencé en 2005 et devait initialement s’achever en 2010. Olkiluoto 3 est finalement entré en exploitation commerciale en avril 2023, avec un retard de treize ans sur le planning initial. Le budget a également connu un sérieux dérapage. Alors que l’estimation initiale tablait sur un coût de 2,3 milliards d’euros, la Cour des comptes française est arrivée au montant de… 8,8 milliards d’euros.
En France, le chantier d’EPR de Flamanville est aussi un fiasco. Démarrés en 2007, les travaux devaient normalement se terminer en 2012. Onze ans plus tard, l’EPR de Flamanville n’est toujours pas en service. En outre, la Cour des comptes française a calculé que l’EPR pourrait coûter 19,1 milliards d’euros, soit plus de cinq fois le budget estimé en 2006 (3,3 milliards d’euros).
Au Royaume-Uni, le budget de l’EPR d’Hinkley Point devrait être multiplié par deux.
Par ailleurs, EDF n’est pas le seul acteur qui fournit ses réacteurs hors délais. Aux États-Unis, l’américain Westinghouse vient de livrer un réacteur AP1000, avec six années de retard. Vogtle 3, en Géorgie, a démarré son exploitation commerciale en juillet 2023, alors que le démarrage était prévu en 2017. En outre, le réacteur a coûté plusieurs milliards de dollars de plus que prévu.
Des chantiers réussis
Heureusement pour l’industrie nucléaire, il existe aussi des exemples de chantiers réussis. Aux Émirats arabes unis, le Coréen KEPCO est parvenu à livrer ses réacteurs APR1400 en moins de dix ans. Barakah 1 a été connecté au réseau en 2020, suivi de Barakah 2 en 2021 et de Barakah 3 en 2022.
Néanmoins, suite à tous ces couacs, le consultant Woodmac estime que la problématique des surcoûts et des dépassements de délais est le plus grand défi de l'industrie nucléaire. "C'est la première question que nous posent les entreprises intéressées par un investissement dans une centrale nucléaire, déclare David Brown, Director Energy Transition chez Woodmac. Quelle est votre vision sur la capacité de l'industrie nucléaire à tenir ses promesses ? En réalité, la filière doit encore prouver qu'elle pourra réaliser ses projets dans le respect des délais et des budgets. Le secteur le sait et se concentre là-dessus."
Mais l'industrie nucléaire va-t-elle y parvenir ? "C'est possible, mais c'est aux développeurs de le faire", a répondu David Brown, sans se mouiller, lors d'un débat.
Selon celui-ci, c'est d'ailleurs l'explosion des budgets et des délais de livraison qui explique l'intérêt croissant pour les small modular reactors. Étant donné que les SMR seront construits en usine, les délais de livraison pourraient être plus prévisibles que pour les gros réacteurs nucléaires assemblés sur site.
"Le contexte a changé"
De son côté, Guerric de Crombrugghe, co-fondateur de Nuketech, un fonds d'investissement dédié au secteur nucléaire, est confiant quant à la capacité de l'industrie à se relever. "Dans les années 70 et 80, on a construit environ 500 réacteurs nucléaires dans le monde, explique-t-il. Ensuite, quasiment plus rien n'a été fait. Quand les chantiers des EPR de Flamanville, d'Olkiluoto et d'Hinkley Point ont commencé dans les années 2000, l'industrie était moribonde. Mais le contexte est radicalement différent aujourd'hui, avec une multiplication des projets dans le monde."
"L'avenir du nucléaire dépendra beaucoup de la remise sur pied de la filière française, ajoute Damien Ernst. EDF devra baisser de 30 % les coûts de son EPR et livrer dans les délais. Selon moi, il faudra bien construire dix EPR pour remettre la filière française sur les rails."