"Il faut pousser David Clarinval dans ses retranchements": le flou politique autour du glyphosate en Belgique inquiète
La Commission européenne a déposé en juillet dernier une proposition pour renouveler l’autorisation du glyphosate pour une durée de quinze ans. Les associations environnementales s’inquiètent de la position belge.
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- Publié le 14-09-2023 à 13h08
- Mis à jour le 14-09-2023 à 17h27
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Faut-il continuer à autoriser le glyphosate ? C’est l’un des sujets sur la table de l’Union européenne pour les prochaines semaines : la Commission a déposé en juillet dernier une nouvelle proposition pour renouveler l’autorisation de cet herbicide puissant pour une durée de quinze ans. Une discussion devrait avoir lieu le 22 septembre au sein du comité en charge de la question (SCoPAFF) avec un vote prévu en octobre.
Si la majorité européenne a voté (en appel) en faveur de l’approbation du glyphosate en 2017, la Belgique l’interdit aux particuliers depuis 2018 – une décision prise un an auparavant, en plein scandale des "Monsanto papers". Seuls les agriculteurs et autres professionnels peuvent utiliser le produit dans certaines circonstances.
On a le sentiment de rétropédaler. Le lobbying reste très puissant.
Mais depuis, la roue a tourné au niveau européen : en novembre 2022, la Belgique a soutenu la prolongation jusqu’à fin 2023. Et notre pays doit de nouveau s’y prononcer le mois prochain, représenté par le ministre fédéral de l’Agriculture David Clarinval (MR) qui partage le portefeuille des pesticides avec le Ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit). "On est très inquiet car on n’entend pas du tout David Clarinval se positionner contre", partage Virginie Pissoort, chargée de campagne et du plaidoyer pour l’association Nature&Progrès. "On a le sentiment de rétropédaler. Le lobbying reste très puissant."
"La substance active la plus utilisée en Europe"
Malgré le feu vert européen, 62 % des Européens estiment que le glyphosate doit être interdit, révèle une enquête de l’institut de sondage français Ipsos qui doit paraître dans le courant du mois. Bien qu'elle soit redoutablement efficace pour "préparer" les sols à l’ensemencement, la molécule inquiète par sa dangerosité, tant sur la santé humaine que sur l’environnement.
Pourquoi est-il donc question de prolonger l’autorisation de l’utilisation du glyphosate en Europe ? "C’est la substance active la plus utilisée en Europe et dans le monde", explique Virginie Pissoort. Le champion du glyphosate en Europe (et dans le monde), c’est Bayer, la maison-mère allemande de Monsanto, "qui fournit les études nécessaires pour justifier l’approbation du glyphosate par l’Union européenne".
Les firmes phytopharmaceutiques sont relativement puissantes en Belgique.
La Belgique n’est pas épargnée. "On sait que les firmes phytopharmaceutiques sont relativement puissantes dans notre pays. Il y a une grande production de produits phytosanitaires, notamment parce qu’on a le port d’Anvers. Les acteurs industriels n’ont besoin de personne d’autre pour faire du lobbying : ils sont suffisamment massifs et robustes."
"La demande est clairement exprimée par les firmes phytopharmaceutiques qui, par leur force de frappe et leur lobbying, sont épaulées par les syndicats agricoles majoritaires qui défendent le modèle conventionnel", poursuit la chargée de campagne de Nature&Progrès. Les agriculteurs qui travaillent en monoculture sur de grandes exploitations s’inquiètent de voir le glyphosate interdit et donc, voir leurs rendements diminuer. "Alors qu’on sait aujourd’hui que l’agriculture biologique fonctionne et fournit de l’emploi. C’est une agriculture qui demande plus de main-d’œuvre dans laquelle on peut réinvestir."
Des ventes clandestines sur Internet
La responsable du plaidoyer pour Nature&Progrès se montre déterminée. "On est obligé de se mobiliser. Certes, c’est David contre Goliath mais il y a quand même une prise de conscience. Même si c’est beaucoup trop lent, les associations et les citoyens se mobilisent dans plein de pays pour démontrer les impacts négatifs du glyphosate sur l’environnement. Les choses avancent."
Un autre problème s’impose néanmoins : l’achat en ligne de produits à base de glyphosate par des particuliers belges. En effet, même si l’usage non-professionnel de la molécule est interdit au sein de notre pays, rien n’empêche les consommateurs à acheter du Roundup sur Amazon, par exemple. Ou d'engager un jardinier qui utilise des produits à base de glyphosate dans leur jardin.
Trois personnes ont d’ailleurs été jugées mardi en France (tribunal correctionnel d’Avignon) pour avoir vendu à des particuliers et via Internet des produits phytosanitaires interdits, essentiellement à base de glyphosate. La sentence : deux ans de prison et 300 000 euros d’amende.
La position belge n'est pas encore arrêtée. Les consultations nécessaires ainsi que la collégialité de la prise de position seront de mise.
L’interdiction du glyphosate en Belgique est-elle donc symbolique ? "De toute façon, dans le monde globalisé dans lequel on est, il y a les lois et puis il y a la pratique", tempère Virginie Pissoort. "La loi donne déjà un signal, ce qui est très bien. C’est un bon point de départ."
D’ici le vote d’octobre, Nature&Progrès compte "pousser David Clarinval dans ses retranchements pour qu’il vote contre l’approbation. Si on ne montre pas qu’il y a un contre-pouvoir, rien n’avancera." En réponse à une lettre envoyée par l’association, le ministre a déjà assuré en juillet que "la position belge n’est pas encore arrêtée" et que "les consultations nécessaires ainsi que la collégialité de la prise de position seront de mise". Une réponse qui est "toujours valable" à l’heure actuelle, nous assure son cabinet.