Les égarements de Wall Street apparaissent au grand jour
Alors que le ralentissement de l’économie américaine s’accentue, que le déficit budgétaire atteint le trillion de dollars, que la division politique éclate dans une procédure de destitution du Président des Etats-Unis et que les résultats des entreprises sont à la baisse, les indices des actions atteignent des records à Wall Street.
- Publié le 08-11-2019 à 10h28
- Mis à jour le 12-11-2019 à 16h45
:focal(635x325:645x315)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/BDWC2FVBGVDS5A45H6VORLNPYI.jpg)
Alors que le ralentissement de l’économie américaine s’accentue, que le déficit budgétaire atteint le trillion de dollars, que la division politique éclate dans une procédure de destitution du Président des Etats-Unis et que les résultats des entreprises sont à la baisse, les indices des actions atteignent des records à Wall Street.
Ce paradoxe ne peut pas ne pas nous interroger. Il doit y avoir une erreur quelque part, à moins qu’il faille considérer qu’une fois pour toutes, les indices boursiers ne représentent plus rien. Tentons d’y voir plus clair.
– Chronique signée Georges Ugeux, ancien vice-président de la Bourse de New York
We Work ou la valeur de la pseudo-technologie
L’histoire de la mise en bourse (IPO) de la société We Work est un résumé stupéfiant de cette situation. Voilà une société qui loue à travers les Etats-Unis des espaces de bureaux ouverts a des entrepreneurs et autres utilisateurs qui cherchent à s’y installer pour quelques semaines ou quelques mois. Rien d’anormal.
Pour arriver à ses fins et devenir un leader dans son domaine, le fondateur de cette entreprise, Adam Neumann doit emprunter massivement pour acquérir ces espaces. Les meilleures choses ont une fin : la situation financière se tend, les résultats diminuent, et ses banquiers lui demandent d’augmenter ses fonds propres. Pour y arriver, il va tenter de faire croire aux investisseurs qu’il est une entreprise technologique !
Forte de sa réputation innovatrice, l’entreprise se lance dans la course aux capitaux frais mais, le 14 août 2019, est contrainte de publier ses états financiers pour la première fois. 900 millions de dollars de perte sur un chiffre d’affaires de 1,54 milliard. Malgré cela, dans ce beau monde de la technologie surévaluée, ses banquiers décident d’approcher les investisseurs sur base d’une évaluation de 47 milliards de dollars. On change de nom en We Company et annonce des projets pharaoniques.
L’IPO n’aura pas lieu. Même à 25 puis 15 milliards de dollars, les investisseurs n’y croient pas. Si un de ses actionnaires, Softbank, le conglomérat du magnat japonais Masayoshi Son, n’était pas intervenu pour empêcher le navire de couler, la société ne vaudrait plus rien.
Où est l’intégrité des banques d’affaires?
Goldman Sachs et JP Morgan qui dirigent l’opération ont accepté, pour avoir le mandat, d’approcher les investisseurs à des prix stratosphériques et tentent désespérément de perpétuer le mythe de la start-up-qui -perd-de-l ’argent-mais-va-gagner-des-milliards.
Car il s’agit bien d’un mythe, auquel j’ajouterais une dimension : la subversion du secteur de la technologie à Wall Street qui fait fi de tous les paramètres d’évaluation. Demain on rase gratis. Cet hubris collectif continue à dominer les milieux financiers qui, en collusion avec la technologie, ont développé un « nouveau paradigme ». C’est la même grande illusion qui a provoqué l’éclatement de la bulle d’internet.
Le marché des IPOs est en pleine crise de crédibilité. Si on y ajoute les pratiques de soutien de cours, on en arrive à se demander quelle rationalité "nouvelle" explique comment - Amazon qui est une firme qui a d’une part une activité de "cloud computing Service", mais surtout une entreprise de prouesse logistique - justifie son cours de bourse à 88 fois les bénéfices ? Elle en vaut peut-être la moitié. Facebook doit revoir sa copie face au rejet généralisé de sa nouvelle "devise digitale mondiale" et Mark Zuckerberg vient de passer encore une fois un mauvais moment au Congrès américain. La méfiance s’installe.
Non, je ne suis pas un classiciste ringard. Mais je partage la conclusion de cette chanson de Jacques Brel : c’est trop facile de faire semblant.