Travail et santé dans les titres-services
L’emploi dans ce secteur, qui occupe près de 150.000 travailleuses, impacte négativement la santé.
Publié le 13-10-2020 à 08h00
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Un texte signé Elisabeth Leduc, doctorante, Dulbea, ULB, et aspirante FNRS et Ilan Tojerow, professeur d’économie, Dulbea, ULB.
En 2004, la Belgique implémentait le système des titres-services dans le but de : créer un grand nombre d’emplois peu qualifiés de proximité, réduire l’emploi non déclaré dans le secteur des services domestiques, et favoriser un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle au sein de la population. Ce programme a connu un succès fulgurant. Aujourd’hui, plus d’un ménage belge sur 5 fait appel à une aide-ménagère et près de 150 000 personnes - principalement des femmes - travaillent sous ce régime.
Malgré leur succès, les titres-services sont régulièrement critiqués en raison de leur coût budgétaire. Le coût brut du système - c’est-à-dire sans compter la réduction des dépenses en allocations de chômage et les accroissements de recettes d’impôts liés aux emplois titres-services - s’élève à près de 2 milliards d’euros par an. Ce coût élevé provient de l’intervention publique particulièrement importante dans le financement des titres : 70 % de la valeur de chaque chèque est en effet financée par le gouvernement. En pratique, les titres-services constituent le programme d’activation des demandeurs d’emploi le plus important de Belgique ; il est dès lors crucial de déterminer s’ils permettent d’atteindre leurs objectifs.
Opportunité d’emploi
Dans une étude, le centre de recherche en économie appliquée de l’ULB (Dulbea) démontre que les titres-services ont atteint leur objectif de création d’emplois peu qualifiés en offrant une opportunité d’emploi non délocalisable à des femmes qui auraient autrement été au chômage, inactives ou employées dans le secteur informel.
Néanmoins, l’étude démontre également que le travail dans les titres-services impacte négativement la santé des travailleuses et augmente grandement leur probabilité de souffrir de maladies musculosquelettiques. Cette hausse des maladies est due à un effet néfaste sur la santé physique des travailleuses, et non au fait que les travailleuses précédemment inactives deviennent éligibles à la sécurité sociale.
Qualité de l’emploi
Ces constats font écho à des inquiétudes grandissantes sur la qualité de l’emploi dans ce secteur. Les emplois titres-services sont en effet caractérisés par un travail physiquement pénible, solitaire, peu rémunéré et insuffisamment valorisé par la société. Bien qu’une aide-ménagère puisse, en théorie, gagner un salaire supérieur au salaire minimum, c’est rarement le cas en pratique étant donné que moins de 10 % ont un contrat à temps plein. De plus, la nature physiquement éprouvante du travail ménager implique que les aide-ménagères sont plus promptes à souffrir d’incapacité de travail temporaire ou d’invalidité, ce qui contribue à réduire leurs revenus davantage. L’étude du Dulbea confirme que c’est bel et bien le travail dans les titres-services, et non les caractéristiques des travailleuses, qui causent ces taux élevés de maladie. Ceci signifie que les titres-services présentent un coût indirect non négligeable pour l’assurance maladie-invalidité.
Ces constats impliquent que pour faire des titres-services un réel succès de promotion de l’emploi, une plus grande attention devra être apportée à la santé des travailleuses à l’avenir. À cet égard, plusieurs options s’offrent aux décideurs politiques tels que la favorisation d’actions de prévention, la garantie d’un meilleur matériel ou un raccourcissement de la durée de carrière. Les maladies musculosquelettiques se développent en effet avec la répétition des mouvements et la durée d’exposition et, étant donné que le système des titres-services ne permet pas, dans son état actuel, de servir de pont vers un emploi non subsidié, les travailleuses restent souvent dans le secteur à long terme. Une solution pour réduire la durée de carrière pourrait être de favoriser la formation des aide-ménagères pour faciliter leur transition vers des emplois non subsidiés et moins pénibles physiquement.
Référence : Leduc E.&Tojerow I., 2020, Subsidizing Domestic Services as a Tool to Fight Unemployment : Effectiveness and Hidden Costs, IZA Discussion Papers No. 13544