Résidence à l’étranger : l’Europe condamne la Belgique à légiférer

En attendant, déclarer 22,5 % du revenu brut est actuellement une solution raisonnable. Une chronique signée André Bailleux et Anne-Thérèse Desfosses - Avocats Wantiez, Bailleux, Causin&Janssen

La Libre Belgique
Résidence à l’étranger : l’Europe condamne la Belgique à légiférer

Une chronique signée André Bailleux et Anne-Thérèse Desfosses - Avocats Wantiez, Bailleux, Causin&Janssen

Monsieur et Madame Dupont, résidents belges, sont les heureux propriétaires d’une résidence secondaire en France et d’un appartement à Lille qu’ils donnent en location. Ils n’ont pas mentionné les revenus, réels ou fictifs, de ces immeubles dans leur déclaration d’impôt déposée en Belgique, se disant que les revenus de ces immeubles sont taxables dans le pays où ils se situent et sont exonérés d’impôt en Belgique. Ce qui est vrai mais pas totalement : ces revenus interviennent en effet pour déterminer le taux applicable aux autres revenus belges des intéressés. Bref, ayant appris l’existence de ces immeubles, l’Administration fiscale frappe à la porte de M. et Mme Dupont et leur enjoint de lui faire connaître les revenus locatifs ou la valeur locative de ces biens.

Mais quels montants déclarer au juste ? La réponse à cette question n’est pas simple. Il faut rappeler en effet que les règles belges à ce sujet ont été condamnées par la Cour de Justice dès 2014, mais que, depuis lors et malgré plusieurs promesses, nos ministres des Finances successifs n’ont pas fait la moindre proposition. Au point que la Cour de Justice de l’Union européenne vient de condamner la Belgique à payer à la Commission européenne une astreinte de 7 500 € par jour à partir du prononcé de l’arrêt (qui date du 12 novembre 2020) ainsi qu’une somme forfaitaire de 2 000 000 €.

La règle belge actuelle

Mais que faire en attendant et comment se défendre face à une administration fiscale qui continue imperturbablement à poursuivre les propriétaires visés ?

La règle belge actuelle est assez simple : lorsque le bien est donné en location (et occupé à titre privé par le locataire), le montant à déclarer est le revenu locatif net perçu (en gros le loyer effectivement perçu, diminué de l’impôt payé à l’étranger et d’un forfait de frais de 40 %). Lorsque le bien n’est pas donné en location, le montant à déclarer est sa "valeur locative". Cette valeur correspond au loyer brut moyen annuel qui aurait pu être recueilli, sous déduction de l’impôt supporté à l’étranger.

L’Administration fiscale admet, depuis 2016, qu’on puisse déterminer la valeur locative d’un bien non donné en location à l’aide d’une valeur approuvée ou fixée par l’autorité fiscale étrangère. Ainsi, en France, le contribuable pourra se référer à la valeur locative cadastrale réévaluée fixée par les autorités françaises et qui figure sur "l’avis d’imposition taxe d’habitation", multipliée par 2, la valeur locative cadastrale française tenant déjà compte d’un abattement de 50 % correspondant à un forfait de frais pour les biens immobiliers bâtis. L’État belge appliquera ensuite un abattement forfaitaire de 40 % pour tenir compte des frais.

Saucissonner si nécessaire

Lorsqu’au cours d’une année, le bien est partiellement loué (pendant la haute saison par exemple) et partiellement occupé par ou à la disposition du propriétaire, il faut saucissonner : loyer brut perçu pour la période de location + valeur locative brute "proportionnellement afférente à la partie de l’année pendant laquelle le contribuable a occupé le bien ou s’en est réservé la disposition" (circulaire n° 22/2016 du 29 juin 2016), sous déduction de l’impôt payé dans le pays de situation de l’immeuble. Quid si un immeuble destiné à la seule location est en carence locative ? Compte tenu du texte légal qui ne taxe que le "loyer et les avantages locatifs" des immeubles étrangers donnés en location, il n’y a rien à déclarer en cas de carence locative.

Ces méthodes de calcul induisent cependant une différence de traitement avec le contribuable belge qui a investi dans une résidence secondaire en Belgique (il est taxé sur le revenu cadastral indexé majoré de 40 %, ce qui conduit généralement à un impôt inférieur), et ce qui constitue, selon la Cour de Justice, une restriction à la libre circulation des capitaux.

En l’absence de modification de la législation, la jurisprudence est intervenue. La Cour d’appel de Liège, dans un arrêt du 28 juin 2017, a suivi le raisonnement de la Cour de Justice en rejetant la taxation du revenu locatif d’un appartement donné en location à un particulier. La Cour a considéré que la base imposable pour ce bien pouvait être estimée à 22,5 % du montant brut des loyers perçus, sur base, dit-elle, "d’un communiqué de la Commission européenne évaluant entre 20 et 25 % de la valeur de marché les revenus immobiliers de source domestique". Ce sur quoi le fisc belge donna son accord.

Dans un jugement du 25 juin dernier, le tribunal de première instance de Liège a décidé dans le même sens : il a fixé le montant à déclarer à 22,5 % des loyers bruts, sous déduction de l’impôt foncier supporté dans le pays où se situe l’immeuble, en l’espèce, en Allemagne.

Telle est la proposition que M. et Mme Dupont ont intérêt à faire à leur contrôleur fiscal. Et puisqu’ils ont des immeubles en France, ils peuvent en tout cas se féliciter de ne pas les avoir acquis au travers d’une SCI française (Société civile immobilière) car ils auraient la mauvaise surprise de se voir taxer en Belgique sur les revenus locatifs au titre de dividende au taux de 30 %, alors que ces revenus auront déjà subi l’impôt en France. Et s’ils réalisent une plus-value lors de la cession de leurs parts dans la SCI, ils risquent fort d’être taxés en France sur celle-ci, comme le Conseil d’État français l’a récemment décidé. Cela dit, même sans SCI, la plus-value sur une seconde résidence en France y est en principe taxable alors que ce n’est généralement pas le cas pour une seconde résidence en Belgique. La France reste un terrain miné pour le voyageur fiscal.

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