Pourquoi il ne sera pas rentable à terme pour les entreprises pharmaceutiques de tirer profit de la pandémie

À la mi-janvier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé ce qui paraissait une évidence depuis un certain temps déjà : la disponibilité des vaccins contre le coronavirus tourne de plus en plus à une mauvaise pièce entre « nantis » et « démunis ». Une chronique signée Steven Desmyter, co-directeur Investissement responsable chez Man Group

Steven Desmyter
Pourquoi il ne sera pas rentable à terme pour les entreprises pharmaceutiques de tirer profit de la pandémie
©Shutterstock

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, a mis en garde contre un « échec moral catastrophique », alors que les pays riches intensifient leurs programmes de vaccination tandis que les pays pauvres n’ont toujours pas accès à des vaccins efficaces. L’Afrique du Sud est, à ce jour, le seul pays africain à avoir signé un accord bilatéral sur les vaccins (pour celui d’Oxford/AstraZeneca), alors que le programme COVAX de l’OMS, qui vise la fourniture de vaccins aux pays les plus pauvres, risque d’être loin d’atteindre son objectif de 2 milliards de doses.

L’annonce de l’OMS s’inscrit dans le cadre du débat public plus large qui entoure l’approche des grandes entreprises pharmaceutiques quant au vaccin contre le coronavirus. L’industrie pharmaceutique fait face, depuis un certain temps déjà, à un problème de perception. Le secteur semble avoir transformé un modèle commercial objectivement sain (soigner les malades et protéger les bien-portants) en une boîte noire obscure, minée par des accusations d’augmentation inappropriée des prix et par la suspicion de faire passer les profits avant les intérêts des patients. Le coronavirus a accéléré ce processus.

Tout cela se déroule sous nos yeux, à un moment où les investisseurs cherchent de plus en plus une valeur ajoutée sociale. En plus d’être l’année du coronavirus, 2020 fut, en effet, celle de la montée en puissance imparable des investissements ESG (Environnement, Social et Gouvernance). Au Royaume-Uni, les investisseurs ont investi près de quatre fois plus dans l’ESG au cours des trois premiers trimestres de 2020 qu’à la même période, l’année précédente : 8 milliards d’euros contre 2,1 milliards d’euros. Point notable (ou pas du tout ?) : les deux principales agences de notation de l’ESG que sont MSCI et Sustainalytics attribuent de mauvais scores au secteur pharmaceutique sur les mesures ESG clés, en particulier l’impact social de leurs activités.

Plus qu’une recherche de profit à court terme, la crise de la COVID-19 cache une opportunité pour l’industrie pharmaceutique de reconquérir une partie du terrain ESG perdu ces dernières années. Le véritable gagnant dans la course au vaccin sera donc l’entreprise qui sera capable de générer le plus grand impact social grâce à ses efforts. Quand la poussière retombera, il pourrait s’agir d’AstraZeneca.

Si Pfizer/BioNTech et Moderna, les producteurs des vaccins à ARN messager actuellement utilisés pour la vaccination en Belgique, facturent respectivement environ 12 et 15 euros par dose, Oxford/AstraZeneca a explicitement déclaré vendre son vaccin au prix coûtant au moins jusqu’en juin ou aussi longtemps que dure la pandémie. En pratique, cela représente moins de 2 euros par dose.

En termes de distribution également, une nette différence se marque entre les vaccins à ARN messager et celui d’Oxford/AstraZeneca. Ce dernier a clairement indiqué dès le départ que son vaccin est conçu pour être disponible et abordable dans les pays en développement. Quelque 64 % des vaccins Oxford/AstraZeneca seront destinés aux pays à faible revenu. Pour Pfizer/BioNTech, cette part se limite à 4 %. Moderna et Curevac, un autre vaccin de la famille des ARN messager, ciblent également (presque) exclusivement les pays riches.

Cette différence est certes en partie due à la logistique : les vaccins à ARN messager doivent être conservés à de très basses températures (-70 degrés dans le cas de Pfizer/BioNTech), alors que le vaccin Oxford/AstraZeneca peut être conservé pendant de longues périodes dans des réfrigérateurs classiques. Il faut toutefois noter qu’Oxford/AstraZeneca consent de gros efforts, notamment en travaillant avec l’alliance pour les vaccins Gavi et le Serum Institute of India, pour assurer la fourniture de vaccins aux pays à faible revenu. Ce consortium est également le plus grand contributeur au milliard de doses COVAX sécurisées à ce jour. À chaque étape, l’équipe d’Oxford/AstraZeneca semble être guidée par l’impact social et les mesures ESG.

Il n’est pas seulement question d’éthique, en l’occurrence. L’intérêt que suscite l’ESG, ces dernières années, ne doit, en effet, rien au hasard. Il n’est pas nécessaire d’être Thomas Piketty pour reconnaître que les inégalités constituent un risque majeur pour le système mondial actuel. Les investisseurs tournés vers l’avenir reconnaissent que les entreprises ont un rôle à jouer pour corriger les déséquilibres les plus flagrants, qu’ils soient de nature sociale ou environnementale. Même si les fabricants de vaccins à ARN messager ont été sous les feux de la rampe pendant un certain temps suite à leurs résultats exceptionnels sur le plan de l’efficacité, je persiste à croire que c’est pour cette raison qu’AstraZeneca sera le vainqueur à long terme de la course aux vaccins.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...