"Il ne faut pas se leurrer, l’énergie renouvelable décarbonée ne représente que quelques pourcents du nécessaire à la Belgique"
Si on souhaite vraiment œuvrer pour le climat et le bien-être des populations, il faut inventer une autre croissance que celle qui consiste à booster le PIB. Une chronique de Gérard Van Roye, Ingénieur civil (ULB), MBA à Columbia et master en Philosophie.
Publié le 07-02-2021 à 08h00
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Nous avons pris des engagements en faveur du climat pour préserver notre bien-être présent et futur. N’est-il pas étrange que les enjeux climatiques soient toujours considérés comme des critères secondaires par nos dirigeants qui semblent ne pas pouvoir modifier leurs schémas de pensée ? La priorité, nous disent-ils, c’est de relancer l’économie afin de diminuer le chômage et la précarité. Bref, faire en sorte que le PIB se redresse le plus rapidement possible. Ce sont bien sûr les conséquences économiques et sociales du Covid qui occupent l’agenda politique, mais les citoyens devraient se demander : est-ce la bonne manière de sortir de la crise ?
Pour tenter d’y répondre, il faut se souvenir de quelques réalités physiques. La température moyenne sur terre a augmenté de 1,2 % depuis le début de l’ère industrielle. Nous apprécions déjà ce que ce tout petit pourcent de différence induit comme "désagréments" : incendies gigantesques, pluies destructives, sécheresses, famines, pandémies, etc.
Le réchauffement terrestre ne dépend pas des émissions de gaz à effet de serre (GES) à un instant donné, mais bien du stock total de GES accumulé dans l’atmosphère jusqu’à ce jour. Comme ce stock diminue lentement, nous sommes déjà certains d’atteindre le 1,5 degré d’ici une vingtaine d’années, même si nous coupons aujourd’hui brutalement toutes nos émissions.
Deux conclusions : quoi qu’on fasse, nous devons gérer maintenant les conséquences sociales d’un climat devenu moins sympathique. Ensuite, si nous sommes concernés par l’avenir de nos petits-enfants, les scientifiques nous disent que nous devons impérativement baisser nos émissions de GES dès aujourd’hui de 3 à 4 % par an.
L’énergie est le moteur de notre économie
Il est essentiel de comprendre qu’il y a une relation très intime entre le PIB et l’énergie. L’énergie est le moteur de notre économie, tant pour la production industrielle, le transport, que pour l’agriculture, la construction, etc. Rien n’y échappe, pas même les services. C’est la découverte d’une énergie bon marché et disponible en grande quantité (charbon, pétrole, gaz, nucléaire…) qui a permis de passer d’une quasi-stagnation du PIB par personne pendant des millénaires à l’augmentation fantastique que nous connaissons depuis l’invention de la machine à vapeur.
L’énergie cause environ 60 % des émissions des GES, le reste provenant principalement de l’agriculture. Il ne faut pas se leurrer quant au renouvelable : si l’éolien belge a fourni récemment pendant quelques heures un tiers de notre consommation électrique locale, l’énergie renouvelable décarbonée ne représente toujours que quelques pourcents de ce qui est nécessaire pour produire l’ensemble des biens et services consommés en Belgique, y compris ceux qui sont fabriqués à l’étranger !
La conséquence saute aux yeux : le respect des engagements climatiques, si nous devons diminuer notre consommation énergétique, induit obligatoirement une diminution du PIB. Sauf à voir l’efficacité énergétique (quantité d’énergie nécessaire pour produire un euro de PIB) croître à un rythme jamais vu à ce jour. Depuis 2008, la consommation énergétique des pays de l’OCDE est stationnaire, ce qui s’est traduit par une quasi-stagnation du PIB. En moyenne, le PIB belge par habitant n’a augmenté que d’un petit pourcent par an entre 2000 et 2019.
Raisonnable de tout miser sur la voiture électrique ?
La physique ne dit pas tout, mais elle nous renseigne mieux que l’économie sur les contraintes qui affectent notre vivre ensemble. Ceux qui nous disent respecter les engagements climatiques en boostant le PIB croient aux miracles, et tout miser sur d’hypothétiques innovations technologiques relève de la politique de l’autruche. Nous devrions garder en tête cette évidence quand nous interrogeons le bien-fondé des politiques, comme dans les quelques exemples qui suivent.
Eva De Bleeker, secrétaire d’État au Budget, a-t-elle raison d’affirmer que "le plus important est de faire croître le PIB afin qu’il augmente plus vite que le déficit" ?
Est-il bien raisonnable de tout miser sur la voiture électrique qui consommera de l’énergie produite localement plutôt que des carburants importés et, dans le même temps, remplacer le nucléaire par du gaz et par des énergies renouvelables beaucoup plus coûteuses ?
Pourquoi nos élus passent-ils tant de temps sur une taxe sur les comptes-titres qui rapportera le prix d’une gare belge (oui, seulement une !), alors qu’il y a urgence pour une réforme effective de l’impôt en chantier depuis des années, en phase avec les engagements que nous avons pris pour le climat. En ne perdant pas de vue que les revenus de l’État n’augmenteront plus, puisque l’impôt est proportionnel au PIB !
S’agit-il d’un poisson d’avril quand on nous parle sans rire d’une piste cyclable de 10 km entre Overijse et la Région bruxelloise pour… 2025 ? Tout cela vous semble-t-il cohérent ?
Mesures politiques contraignantes
À côté des indispensables initiatives individuelles, la transition doit s’accompagner de mesures politiques contraignantes. Le débat public se limite trop souvent à un affrontement stérile entre IT-geeks pariant sur d’hypothétiques innovations et cyclistes anti-carnivores anxiogènes, alors qu’on aimerait voir un scénario crédible qui nous propose une autre croissance et protège efficacement les plus vulnérables, dans un contexte de recettes fiscales en berne.
On ne pourra pas profiter indéfiniment de la manne céleste distribuée par l’UE. Nous sommes déjà plongés dans les affres du dérèglement climatique : le Covid-19 nous met face à notre impréparation, sanitaire, économique et sociale. Si nous ne gérons pas les conséquences de la diminution des ressources matérielles et financières "en bonnes mères de famille", demain pourrait ressembler à ce que le virus nous fait subir aujourd’hui, où quelques privilégiés cohabitent avec des cohortes de sans-emplois, d’assistés et de crève-la-misère dans un désert culturel.
Observons d’un œil critique l’emploi qui sera fait des fonds européens.