La santé des entrepreneurs est en danger
Les répercussions de la crise ne sont pas qu’économiques. Une étude se penche sur le versant psychologique. Une chronique signée Amélie Jacquemin, professeure d’entrepreneuriat à l’UCLouvain.
Publié le 06-03-2021 à 08h00
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À côté des répercussions économiques de la pandémie sur nos entrepreneurs, la question des effets sur leur santé et leur état psychologique parait sous-investiguée. Pour tenter d’y voir plus clair, nous avons lancé une étude d’un an auprès d’un petit groupe d’entrepreneurs.
Voilà une année déjà que la pandémie nous accompagne au quotidien. La manière dont elle frappe les entrepreneurs constitue un point d’attention très fort, ce qui est bien légitime. Les études qui rythment ce débat décortiquent les conséquences économiques de la crise sur l’entrepreneuriat : celles sur le chiffre d’affaires, sur les investissements, sur l’emploi, sur le pourcentage des ventes faites à l’international et celles faites en ligne, etc. Bref, le phénomène de "contraction économique" est mis en exergue et les mesures de soutien qui ont été prises pour tenter de panser la crise de liquidité sont largement commentées. D’aucuns en appellent maintenant à de nouvelles mesures fortes pour endiguer la crise suivante, celle de la solvabilité de nos entreprises.
Une lecture clivée
En matière d’images et d’histoires, micros et caméras sont tournés tantôt vers les entrepreneurs héroïques qui parviennent à se réinventer ou à dénicher de nouvelles opportunités, tantôt vers celles et ceux qui voient leurs activités s’éteindre à petit feu sans qu’une résilience ne soit possible. Cette lecture très clivée de la vie entrepreneuriale en temps de crise juste "déposée là" dans les espaces médiatiques ne nous dit pas grand-chose de la santé des entrepreneurs ; celle de tous (sans distinction). Comment vont-ils/elles ? Comment vit-on l’entrepreneuriat, son rythme, dans ce contexte si volatil ? Et qu’en est-il de leur santé mentale ? Les situations les plus dramatiques - des suicides - sont parfois visibilisées. Mais il est grand temps de s’intéresser à cette situation dans toute sa granularité, de l’étudier, la comprendre, en marge de ce que l’on sait déjà pour le volet économique.
C’est dans cet esprit que nous collaborons avec une équipe de chercheurs du Québec qui a lancé une vaste étude des répercussions de la pandémie Covid-19 sur la PME et la santé psychologique de l’entrepreneur. La recherche menée au Québec a été sollicitée par le Regroupement des Jeunes Chambres de Commerce du Québec, ce qui a permis de sonder plusieurs milliers d’entrepreneurs. Chez nous, les soutiens sont restés timides et nous avons opté pour une étude exploratoire auprès d’un petit nombre d’entrepreneurs interrogés à trois reprises. Les défis soulignés par les participants sont la gestion du stress et la charge psychologique perçue comme un fardeau. À ces deux éléments soulignés en juin 2020 (temps 1 de mesure), viennent s’ajouter en décembre 2020 (temps 2 de mesure) l’isolement ressenti, ainsi que la gestion de l’équilibre entre les différentes sphères de leur vie. Aussi, 60 % des entrepreneurs étudiés ont perçu une dégradation de la qualité de leur sommeil en juin 2020, et ce chiffre atteint 75 % en décembre 2020. Enfin, le phénomène d’épuisement a été étudié. L’épuisement en fin de journée et celui lié globalement au travail sont les plus prononcés. On notera ici que le niveau d’épuisement est un peu moins fort en décembre 2020 par rapport à juin.
Apporter un soutien
Alors que faut-il faire face à ces constats ? On notera que, au niveau wallon, une mesure de ligne téléphonique de soutien a été activée depuis plusieurs mois, ainsi qu’un réseau de sentinelles en prévention du suicide pour les indépendants. Il s’agit tant de détecter les personnes en détresse que de les aiguiller vers un soutien psychologique dédié. Le fédéral souhaite reprendre ce système de sentinelles pour le déployer sur tout le territoire belge, ce dont on peut se réjouir. Il y a d’ailleurs urgence à le faire et à continuer, par ailleurs, à étudier l’évolution des difficultés de santé propres à cette catégorie de la population.