L'Inde de Modi et ses dérives

Une chronique signée Stéphanie Heng, politologue franco-belge, anciennement visiting fellow à l'Observer Research Foundation (ORF, New Delhi), et Alban de la Soudière, polytechnicien et fonctionnaire international.

Contribution externe
"Le culte de Modi s'est accompagné de dérives anti-démocratiques et notamment d'un abus de majorité", expliquent Stéphanie Heng et Alban de la Soudière.
"Le culte de Modi s'est accompagné de dérives anti-démocratiques et notamment d'un abus de majorité", expliquent Stéphanie Heng et Alban de la Soudière. ©AFP

À son arrivée au pouvoir en 2014, Narendra Modi avait suscité de grands espoirs dans les domaines de l’économie et des libertés publiques.

Sept ans plus tard, le tableau semble beaucoup moins rose, et le Premier ministre est accusé par ses détracteurs d'avoir, en grande partie, annulé les progrès économiques et sociaux réalisés sous ses prédécesseurs.

Economie : des chiffres contrastés

Malgré une croissance qui ferait envie aux pays européens (près de 7 % par an en moyenne dans les années pré-Covid), les inégalités restent très fortes et la pauvreté a sensiblement augmenté en Inde ces dernières années.

Selon le Global Hunger Index (GHI), l'indicateur de sous-alimentation de la population indienne s'est détérioré entre 2017- 2018 et 2019 - 2020. Le pays se classe ainsi à la 101e place sur 116. Il est derrière le Pakistan, le Bangladesh, le Népal et le Sri Lanka. L'Inde fait aujourd'hui partie des 31 pays dans le monde où la faim a été identifiée comme grave.

Un haut fait du gouvernement Modi en 2016 a été la démonétisation des plus grosses coupures (billets de 500 et 1000 roupies) dans le but de lutter contre les richesses non déclarées, la corruption et la fausse monnaie. Malheureusement, le but principal n’a pas vraiment été atteint, et au contraire l’opération a par ailleurs eu des effets secondaires dramatiques sur les populations pauvres et rurales, dont l’économie fonctionne essentiellement en espèces.

De même, une réforme agricole votée en 2020, cherchant à libéraliser le secteur, a surtout causé une concurrence inéquitable entre petits et moyens agriculteurs d’une part, et grands exploitants agricoles de l’autre. Les protestations, principalement menées pendant des mois par la communauté sikh à laquelle appartiennent beaucoup d’agriculteurs lésés, ont conduit le Premier ministre à annoncer le 19 novembre 2021 l’abrogation prochaine des trois principales lois contestées.

Culte de la personnalité

Le culte des dieux et des guerriers a toujours été un élément central de la culture indienne. Le Premier ministre en joue et construit un culte de la personnalité autour de lui. Il cherche notamment à être associé à des images religieuses, se faisant photographier tantôt en train de méditer dans une grotte, tantôt en train d'inaugurer un temple.

Le culte de la personnalité ne s'arrête pas là : récemment une arène sportive, auparavant nommée d'après un grand héros de la lutte pour la liberté, a été rebaptisée Stade Narendra Modi et inaugurée par le président et le ministre de l'intérieur. Autre exemple : les certificats de vaccination contre le covid-19 portent, en Inde, la photo du Premier ministre !

Dérives autoritaires

Le culte de Modi s'est accompagné de dérives anti-démocratiques et notamment d'un abus de majorité : le BJP (Bharatiya Janata Party), le parti au pouvoir, attaque et intimide les minorités religieuses dans sa tentative de créer un Etat hindou théocratique. Rappelons que la principale « minorité » religieuse d’Inde, avec près de 200 millions de membres, constitue la deuxième ou troisième communauté musulmane du monde derrière l’Indonésie et proche du Pakistan. Fin 2019, le Parlement indien a voté un texte discriminant, facilitant l’attribution de la citoyenneté indienne aux réfugiés de pays voisins, mais à la condition qu’ils ne soient pas musulmans !

Le Premier ministre a par ailleurs utilisé les instruments du pouvoir de l'État pour saper le fonctionnement des institutions du pays. Il a notamment largement soumis les médias. Selon le classement mondial de la liberté de la presse, établi chaque année par Reporters sans frontières, l'Inde se trouve à la 142e place sur 180 en 2021, loin derrière la plupart des Etats démocratiques. Il n'y a actuellement dans le pays que très peu d'agences de presse indépendantes capables de produire des reportages libres et précis.

Enfin, les droits de l'homme sont régulièrement attaqués sous diverses formes : emprisonnement de plusieurs militants des droits de l'homme, tentatives de mise sous son contrôle d'institutions auparavant indépendantes comme la magistrature supérieure, la banque centrale et la commission électorale.

Bref, avec une population d'environ 1.4 milliard d'habitants, le pays longtemps considéré comme la plus grande démocratie au monde s’éloigne un peu de l’image d’Epinal d’un Etat démocratique.

Les auteurs s'expriment à titre personnel.

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