Et si la construction devenait responsable ?
Énergie, conditions de travail, corruption… sont autant de points noirs. Une chronique de Michel Sapranides, gérant fondateur du groupe français Sigma Technologies et auteur de l’essai autobiographique Leader Sociétal.
Publié le 23-12-2021 à 12h36 - Mis à jour le 23-12-2021 à 12h42
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Il conviendrait d'attirer l'attention, tout d'abord, sur l'impact environnemental absolument considérable du BTP (Bâtiments et travaux publics, terme utilisé en France notamment pour le secteur de la construction, NdlR). Dans les classements mondiaux des secteurs produisant le plus d'émissions de gaz à effet de serre et consommant le plus d'énergie, les secteurs du BTP et des transports arrivent respectivement premier et deuxième. On peut donc mesurer l'ampleur du problème quand ces deux secteurs convergent dans le cadre d'un chantier.
L’enjeu des émissions des gaz à effet de serre est d’autant plus important qu’un bâtiment neuf émet la moitié de ses gaz à effet de serre pendant sa construction.
Aussi, en 2030, les voitures électriques et hybrides représenteront presque la moitié des ventes de nouveaux véhicules.
La tendance générale est donc bonne dans ces deux secteurs. Mais le BTP ignore encore trop l’électromobilité. Les stations de recharge sont quasi inexistantes sur les lieux de travail et dans l’espace public. C’est l’enjeu crucial de ces prochaines années en matière de BTP. D’où la convergence indispensable entre le véhicule électrique et la construction écoresponsable.
Mais la transition énergétique passe aussi par les start-up innovantes. Les véhicules électriques mis à disposition par Supervan et Free2Move permettent aux PME du BTP, à l’instar de mon groupe Sigma Technologies, d’atteindre à terme l’objectif d’un parc automobile de zéro véhicule.
Conditions de travail sur les chantiers
Fait tristement banal : en 2021, en Europe, des ouvriers dorment encore sur les chantiers. Comme je le souligne dans mon dernier livre Leader Sociétal, ce manquement à leurs droits est hélas très loin d'être le seul. Il convient aussi de souligner le non-respect quasi systématique des règles de sécurité, les accidents résultants, le travail de nuit, le remplacement instantané d'ouvriers récalcitrants, les rémunérations fixées sous le seuil légal, etc.
Sur les conditions de travail, là encore, le BTP est très en retard. D’où, bien entendu, la concurrence déloyale préjudiciable aux fournisseurs honnêtes qui, eux, respectent les droits de leurs employés. Autrement dit, la responsabilité pèse sur les épaules du client, seul responsable de choisir parmi les fournisseurs respectueux de l’humain.
Notre indignation quant au sort des ouvriers dans d’autres pays en développement est presque risible quand on sait le quasi-esclavage pratiqué sur notre propre territoire.
Lutte contre la corruption
Il y a vingt ans, j’ai quitté la Chine pour m’éloigner de la corruption qui y est omniprésente. Il fallait sans cesse dessiner le circuit menant aux personnes à rémunérer. Encore une fois, la situation n’est pas vraiment meilleure en Europe.
Les règles affichées sont claires, mais il y a beaucoup d’hypocrisie. Une entreprise de renom qui prend connaissance d’un fait de corruption en son sein préfère inviter le délinquant à transiger et conserve le silence pour préserver la réputation de la société, les conséquences prévisibles et surtout le cours en Bourse.
Dans le BTP, les pratiques de corruption sont répandues et les méthodes toujours les mêmes : pots-de-vin, trafic d’influence, entente entre concurrents, appels d’offres truqués, etc.
En atteste une étude récente sur le niveau d’exposition des secteurs d’activité au risque de corruption, réalisée par le groupe d’audit et de conseil Grant Thornton, d’après laquelle la construction arrive en tête, les industries extractives en second, et l’immobilier en troisième.
Parité
En France, les femmes ne représentent que 12 % des salariés du BTP. Plus précisément, les femmes ne représentent que 10,5 % des effectifs techniques et d’encadrement, et 0,7 % des chefs de chantiers.
Alors certes, les politiques RH des acteurs du BTP évoluent dans le bon sens. Mais c’est beaucoup trop lent, comparativement à la féminisation générale du marché du travail. Les effectifs féminins salariés dans le bâtiment n’ont augmenté que de 4,6 % dans entre 2007 et 2017.
En matière de parité, le chemin à parcourir reste donc très long.
Une RSE spécifique
À la lumière des faits précités, il y a fort à craindre que le BTP soit hélas le secteur le plus hermétique aux valeurs progressistes qui forgent la société contemporaine, tant en termes environnementaux et sociétaux que de gouvernance.
La marge de progression y est telle que la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) appliquée au BTP doit faire l’objet d’une réflexion spécifiquement dédiée à ce secteur, très distincte de la RSE appliquée à l’économie générale.
Ceci étant, la filière BTP doit aussi bénéficier des instruments mis en place pour optimiser l’impact sociétal de l’économie générale. Les labels BeCorp, Lucy et Entreprise à mission restent indispensables à toute entreprise désireuse d’optimiser son image RSE auprès de ses clients.
Enfin, il faut impérativement souligner les bénéfices réels de la RSE dans le BTP, à savoir notamment la réduction des coûts par l’économie d’énergie, l’amélioration du bien-être des employés, l’optimisation de l’image de l’entreprise auprès des clients et des parties prenantes, et bien entendu l’adaptation de l’entreprise au progressisme de notre époque.
Or, pour beaucoup trop d’acteurs du BTP, RSE rime, hélas, encore avec surcoût et charge. Ce qui prouve le grave défaut de communication sur les bénéfices de la RSE. Le discours de nos élus ne suffit plus. Il est donc urgent de créer un réseau d’ambassadeurs RSE sur le terrain, constitué d’entrepreneurs dévoués à cette cause, et prêts à la défendre auprès de leurs homologues. Seule la preuve par l’exemple peut faire progresser la RSE à grande échelle dans l’économie européenne.