La crise alimentaire mondiale va-t-elle bénéficier aux producteurs d’aliments artificiels ?

Une chronique de Maxim Manturov, responsable du conseil en investissement chez Freedom Finance Europe.

Contribution externe
La crise alimentaire mondiale va-t-elle bénéficier aux producteurs d’aliments artificiels ?
©AP

Lénine disait que les guerres ont des conséquences, et il n’avait pas tort : la crise alimentaire actuelle a été déclenchée en grande partie à cause de la fameuse “opération militaire spéciale” de la Russie. Les principaux produits d’exportation de l’Ukraine sont (presque) en pénurie, un problème auquel s’ajoute celui de la croissance démographique. L’ONU prévoit que nous serons 9,7 milliards d’êtres humains en 2050. Les plus fortes augmentations de population dans les 28 prochaines années proviendront de l’Inde, du Nigeria, du Pakistan, de la RDC, de l’Éthiopie, de la Tanzanie, de l’Indonésie, de l’Égypte et des États-Unis. Alors que la population mondiale ne cesse de croître, les possibilités de production alimentaire extensive (en augmentant les surfaces cultivées ou en développant les exploitations agricoles) sont épuisées. Mais alors, comment faire face à cette crise alimentaire et avec quelles solutions ?

La guerre en Ukraine et l’alimentation

La pénurie alimentaire en cours s’explique par deux facteurs : l’Ukraine est historiquement le “grenier de l’Europe”, et 90 % des exportations du pays sont – ou plutôt étaient – acheminées par voie maritime. Les céréales sont les marchandises les plus impactées par la guerre. L’Ukraine produit 27 % du tournesol, 5 % de l’orge, 3 % du blé, 3 % du colza et 2 % du maïs mondiaux. Aujourd’hui, les exportations de ces produits sont à 10 % de leur niveau d’avant-guerre, ce qui cause des pénuries en Indonésie, en Espagne, aux Pays-Bas, en Iran, au Pakistan, en Libye et en Tunisie.

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Bien que les ports occupés de Marioupol et Berdyansk ne représentent que 5 % de la capacité d’exportation ukrainienne, les 95 % restants (Odessa et Mykolaïv) sont victimes du blocus maritime russe en mer Noire. Si les bateaux ne naviguent pas, les camions et les trains roulent, pensez-vous. C’est sans compter la destruction méthodique des infrastructures routières ukrainiennes par les troupes russes, à laquelle s’ajoute un problème de taille : l’écartement des rails est plus large en Ukraine qu’en Europe, ce qui complique grandement le transport ferroviaire. Bref, le problème est pressant et n’est pas près d’être résolu. Cela fait les affaires de Poutine, mais pas celles du reste du monde, et surtout des pays en voie de développement.

Pourquoi des aliments artificiels ?

L’ensemble du monde civilisé est passé depuis longtemps à un modèle de développement intensif utilisant de nouvelles techniques agricoles. Grâce aux nouveaux produits chimiques et aux nouvelles machines, les rendements des terres agricoles ont pu être multipliés. Des vaccins innovants permettent également de minimiser les épidémies virales qui touchent le bétail. Cependant, le modèle intensif a ses propres limites en matière de productivité, et génère de fortes émissions de CO2.

Pour contrebalancer les effets de la future croissance démographique, les scientifiques ont commencé à développer des aliments artificiels. Fruits du progrès technologique, ces aliments sont élaborés à partir de substances alimentaires qui ont été synthétisées chimiquement et contiennent généralement une grande quantité de protéines. Les aliments artificiels imitent l’apparence, l’odeur et le goût des aliments naturels. La “viande cultivée en laboratoire” devient chaque jour moins chère et pourrait bien servir de substitution lors de crises comme celle que nous vivons. D’autant plus que la viande est le produit qui fera le plus défaut à l’avenir, vu l’impossibilité d’augmenter la production à cause des réglementations environnementales et de la disponibilité des terres.

Quel avenir pour les aliments artificiels ?

Le marché des aliments artificiels est principalement constitué de produits de substitution à la viande, qui sont en moyenne deux fois plus chers que la viande conventionnelle (bœuf ou porc). En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un produit de masse, mais de niche (similaire à l’alimentation biologique). Dans un contexte d’inflation croissante (plus de 8 % aux États-Unis et 7,5 % en Europe), le marché des produits de niche coûteux a tendance à se rétrécir. De plus, l’Ukraine n’exporte pas de viande rouge dans des volumes importants, donc la guerre n’entraînera pas de pénurie de ce produit et ne provoquera pas de demande supplémentaire d’aliments artificiels.

La population mondiale va augmenter et ce n’est qu’une question de temps avant que nous nous tournions vers des sources alternatives de protéines et de graisses. Le problème pour l’instant est le coût élevé du produit fini, qui le rend inabordable pour la consommation quotidienne de la majorité de la population. À long terme, on assistera à une baisse du coût de la technologie de production, à l’instar des ordinateurs, de l’Internet et des voitures électriques. Tous ces articles du monde de la haute technologie étaient initialement inaccessibles au grand public. Dans les années de reprise économique mondiale qui suivront la guerre, il conviendra de prêter attention aux entreprises d’alimentation artificielle.

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