La consommation durable, un défi pour les marketeurs
Les marketeurs peuvent également participer à changer les perceptions afin que consommer durable soit juste perçu comme… normal. Une chronique d'Albert Derasse, consultant indépendant en marketing prédictif.
Publié le 26-01-2023 à 08h30
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La BAM, c'est l'Association belge de marketing. Elle rassemble, au sein de think tanks, une série d'experts de la profession qui se penchent sur de sujets clé et de société en lien avec le marketing : technologie, vie privée, diversité et inclusion et, notamment, durabilité. Fin 2022, les membres actifs de ce dernier groupe ont rédigé sur le thème de la durabilité un "livre vert" intitulé Promouvoir la durabilité dans un contexte d'incertitude.
Nicolas Lambert était, à l'époque de notre rencontre il y a quinze ans, fraîchement nommé Marketeur de l'année en qualité de directeur marketing chez Alken Maes. Il est aujourd'hui consultant indépendant après avoir passé six années en tant que CEO de Fairtrade Belgium. Et le capitaine du think tank durabilité donne le ton lorsqu'il met en avant que "la capacité à être en phase avec ce qui se vit dans la société est un des fondements du marketing"…
En matière de durabilité, les lignes bougent puisque le document met en avant une étude qui montre qu'entre 2019 et 2021, le nombre d'eco-actives (les consommateurs qui tiennent compte des aspects environnementaux et de durabilité lors de leurs achats) est passé de 20,6 à 34 %… avant de retomber à 20,2 % en 2022 en raison de la crise du pouvoir d'achat. Penser, concevoir et adresser des produits durables à cette frange de la population n'est pas très compliqué. Convaincre les 80 % restants, y compris ceux qui sont réfractaires à tout changement, est un réel défi ! Et c'est là précisément que le marketing peut apporter sa contribution. Quels défi et potentiel pour ces professionnels des sciences humaines que sont les marketeurs. Car pour faire adopter un comportement, croyez-moi, vous ne trouverez pas mieux qu'eux (ou plutôt "que nous" puisque j'appartiens à cette corporation) !
Produit ou comportement
Un des auteurs du document met en avant les deux stratégies qui s’offrent aux marketeurs. D’une part, la durabilité "produit" à travers laquelle la marque améliore les performances environnementales et sociales du produit. Par exemple, en passant par un fournisseur certifié Fairtrade ou en proposant un emballage recyclable. Proposer des produits en circuit court s’inscrit aussi dans cette démarche. D’autre part, les marketeurs peuvent encourager les consommateurs à adopter un comportement durable en lien avec le produit : par exemple, offrir une réduction en cas de refus de couverts en plastique dans la restauration rapide. On citera aussi cette banque qui offre un taux plus favorable en cas de construction durable. Autre idée originale née dans la tête d’un marketeur : l’initiative de ce détaillant en produits électroménagers qui invite le client à souscrire à un contrat d’entretien à prix coûtant pour allonger la durée de vie des appareils qu’il vient de lui acheter. L’antithèse de l’obsolescence programmée !
Les marketeurs peuvent également participer à changer les perceptions afin que consommer durable soit juste perçu comme… normal. L'auteur d'un des articles cite en exemple notre perception d'un beau légume : qu'est-ce qui a construit cette conviction qu'une carotte devait être bien longiligne et la surface d'une pomme de terre bien lisse ? Afin de revoir cette perception, une campagne menée par une enseigne de la grande distribution (et née dans la tête d'un marketeur) a rendu leur dignité aux "fruits et légumes moches" afin d'éviter le gaspillage. À propos de perceptions toujours, soyons honnêtes : si rouler en voiture hybride ou électrique était perçu comme écolo bobo… et même encore bo pour boring (ennuyeux), c'est aujourd'hui considéré comme cool et cette conduite est prisée par les plus geeks !
Trouver le bon argument
Favoriser un comportement d’achat durable passera finalement souvent par un argument qui ne sera pas spécialement écologique. Nicolas Lambert, auteur d’un livre à paraître en mars prochain sur le sujet aux Éditions Racine, rapporte une discussion avec le directeur marketing de la Stib qui avançait que la raison principale pour laquelle les usagers délaissaient leur voiture pour les transports en commun n’était pas l’écologie mais le gain de confort. Et en ces temps de Salon de l’auto où le "tout à l’électrique" est de mise, l’argument fiscal à l’adoption des voitures hybrides et électriques est un autre exemple.
De manière plus stratégique, Nathalie Erdmanis, une des auteurs du "livre vert", avance que les marques doivent revoir leur process de production et de vente en appliquant la règle des 3 "Re" : Re-duce, Re-use, Re-cycle. J'aurais envie d'ajouter que les financiers évidemment derrière ces marques devront trouver des modèles d'affaire Re-ntables (osons l'adjectif) et péRe-nnes !
Quand les publicitaires s’en mêlent
Les créatifs et stratèges d’agences qui interviennent dans l’ouvrage collectif fixent l’ambition de créer des marques conscientes qui conjuguent durabilité et bien-être et font le pari de rendre la transition non pas seulement supportable mais désirable ! Ceux qui trouvent les bons mots et les images qui dessinent nos émotions se font fort de faire ressentir dans la communication que la durabilité, c’est aussi "plus" et pas forcément "moins". "Moins acheter", c’est "plus de liberté" ; "moins d’avoir", c’est "plus d’être et de bien-être". Une gageure… Mais pas tant que ça, faisons-leur confiance !
Comme Nathalie Erdmanis le souligne, "les marketeurs sont les acteurs d'un modèle économique basé sur le progrès, la croissance, le profit et la rentabilité… autant de notions questionnées par les impératifs de durabilité." La corporation à laquelle j'appartiens en est consciente et veut participer à un changement qui ne dissocie plus planète et humain car pour reprendre la citation de David Brower, "il n'y a pas de business sur une planète morte."