Le secret professionnel de l’avocat est-il inopérant en matière fiscale ?

Cela au nom de la lutte contre la fraude et le blanchiment des capitaux. Le pouvoir judiciaire se dresse en dernier rempart. Une chronique signée Rafaël Alvarez Campa, avocat associé Everest Law.

Contribution externe
Droit law avocat justice procès
Des directives européennes mettent à charge des avocats et d’autres intermédiaires, des missions incombant normalement aux autorités judiciaires et fiscales. ©Shutterstock

C’est au nom de la lutte légitime contre la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux et l’érosion de la base imposable que des directives européennes, transposées ensuite au niveau des États et des Régions, mettent à charge des avocats et d’autres intermédiaires, des missions incombant normalement aux autorités judiciaires et fiscales. Parmi ces directives, l’on retiendra particulièrement la directive (UE) 2018/822 (communément appelée DAC 6) en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration.

Cette directive, qui a été transposée dans le droit belge par une loi du 20 décembre 2019 et par des décrets régionaux, prévoit ainsi une obligation essentiellement à la charge des professionnels agissant en tant qu'intermédiaires - donc pas seulement les avocats -, de divulguer à l'administration fiscale les "dispositifs transfrontaliers agressifs" qu'ils ont conçus, commercialisés, organisés ou mis en œuvre. Plus précisément, il leur incombe de divulguer les dispositifs fiscaux standardisés par opposition aux montages "sur mesure" qui sont conçus pour un client en particulier.

Lorsqu'un professionnel concerné invoque néanmoins le secret professionnel, il est alors tenu d'informer "les autres intermédiaires ou le contribuable" que l'obligation de déclaration leur est alors applicable.

Une telle obligation de divulgation pose évidemment question dès lors qu’elle rend indirectement le secret professionnel des avocats inopérant.

Protection renforcée

Fort heureusement, les juges réagissent. Ainsi, par un arrêt rendu le 8 décembre 2022 (affaire C-694/20), la Cour de justice a jugé que l’obligation ci-dessus à charge des avocats constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux. Dans son arrêt, la Cour de justice a rappelé des principes élémentaires, à savoir que cette disposition accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients et que cette protection spécifique du secret professionnel des avocats se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique.

Pour la Cour, cette mission exige que tout justiciable ait la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat dont l’obligation de secret professionnel s’étend également à la consultation juridique, et ce, tant à l’égard de son contenu que de son existence.

Ingérence justifiée ?

La Cour a également examiné si cette ingérence peut être justifiée au regard des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne et si elle est nécessaire à la poursuite de ces objectifs. La Cour a toutefois jugé sans aucune ambiguïté que l’obligation de divulgation incombant à l’avocat soumis au secret professionnel n’est pas nécessaire pour réaliser cet objectif. En effet, dès lors qu’ils sont tenus de transmettre les informations prévues aux autorités fiscales compétentes, les autres intermédiaires ne peuvent prétendre qu’ils ignoraient les obligations de déclaration auxquelles ils sont eux-mêmes soumis, indépendamment des obligations incombant aux avocats.

De son côté, la Cour constitutionnelle, saisie d'un recours en annulation de la loi précitée, avait déjà rappelé dans un arrêt du 15 septembre 2022 que "le secret professionnel de l'avocat est une composante essentielle du droit au respect de la vie privée et du droit à un procès équitable. Le secret professionnel de l'avocat vise en effet principalement à protéger le droit fondamental qu'a la personne qui se confie, parfois dans ce qu'elle a de plus intime, au respect de sa vie privée. Par ailleurs, l'effectivité des droits de la défense de tout justiciable suppose nécessairement qu'une relation de confiance puisse être établie entre lui et l'avocat qui le conseille et le défend. Cette nécessaire relation de confiance ne peut être établie et maintenue que si le justiciable a la garantie que ce qu'il confiera à son avocat ne sera pas divulgué par celui-ci. Il en découle que la règle du secret professionnel imposé à l'avocat est un élément fondamental des droits de la défense […]". (arrêt n° 103/2022).

Il est heureux de constater que le pouvoir judiciaire, loin de vivre dans une tour d’ivoire, a pris la mesure du danger pesant sur le maintien du secret professionnel de l’avocat.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...