Réforme du marché de l'énergie : après le modèle ibérique, voici la piste espagnole
La Commission européenne carbure sur une réforme du marché de l’électricité. L’Espagne, qui a montré avec son modèle comment gérer la crise de l’énergie, était attendue avec son “non-paper” et ses idées. Une chronique signée Charles Cuvelliez et Patrick Claessens, École Polytechnique de Bruxelles, ULB.
Publié le 14-02-2023 à 08h30
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Le marché ne délivre plus des prix de l’électricité stables et abordables. Tout aurait dû pourtant bien aller : si les prix à court terme sont élevés, c’est un incitant pour de nouveaux acteurs à entrer sur le marché. Plus de concurrence induit une baisse sur le long terme des prix.
Barrières à l’entrée
Las, les barrières à l’entrée, qu’on savait fortes avant la libéralisation, ont mis à mal l’édifice. Un acteur attiré par les prix encore élevés ne peut pas toujours construire ce qu’il veut où il veut, et il faut du vent, de la place et des permis, de l’eau pour des barrages, un soutien pour du nucléaire. La Commission ne voulait pas non plus d’un marché de capacité de production qui ne rémunère que la seule disponibilité de l’installation. Seule, l’électricité réellement produite compte. Donc, personne n’est intéressé pour investir dans plus de (capacité de) production qui pourrait ne pas produire… Les prix restent calés sur le coût marginal de la dernière unité qu’on doit utiliser pour équilibrer offre et demande (la centrale au gaz) car rien ne vient la concurrencer. Il ne resterait donc plus qu’à espérer que les prix du gaz diminuent ?
Vingt ans ont passé depuis la libéralisation et les marchés à terme de l’électricité au-delà d’un à trois ans sont toujours aussi illiquides, si pas inexistants. La faute, dit l’Espagne, à l’interdiction européenne d’offrir des contrats aux clients résidentiels et PME à plus d’un an pour favoriser la concurrence. La volatilité des prix dissuade les consommateurs de s’électrifier pour consommer moins de gaz et émettre moins de carbone : qui prendra le risque d’investir dans une pompe à chaleur ou une voiture électrique avec des prix qui pourraient subitement augmenter à 400 euros/MWh un jour, une année.
Si le retour sur investissement des installations renouvelables devait se baser sur les signaux des prix à court terme, comme le veut le marché aujourd’hui, ces investissements seraient à risque et coûteux : à risque car la présence du renouvelable tire les prix vers le bas durant les périodes de forte production (vent, soleil) ; coûteux, car l’instabilité des prix à court terme génère une grosse incertitude sur les cash-flows, ce qui se traduira en accroissement du coût du capital.
Sécurité d’approvisionnement
Les marchés à court terme, dixit l’Espagne, ne rémunèrent pas la sécurité d’approvisionnement. Quand il y a pénurie d’électricité, les producteurs perdent l’équivalent de ce qu’ils n’ont pas pu produire alors que le manque à gagner pour les consommateurs et l’industrie est nettement plus important, de même que l’impact sociétal. Personne ne supporte ce coût. Un mécanisme de price cap, quand il limite le prix de marché en période de pénurie, restreint la seule source de revenus des unités fonctionnant en pointe. On n’est pas incité à en construire. Les régulateurs, de surcroît, peuvent difficilement différentier une hausse de prix générée par une pénurie plutôt que par des pratiques commerciales douteuses (comme la rétention de capacité).
Le long terme
Jouons sur le long terme, dit l’Espagne, pour corriger les défaillances du marché, amener une tendance baissière des prix et une stabilisation ensuite. Elle propose un système de prix garantis, les Contracts for Differences (CfD). Les producteurs inframarginaux, qui produisent leur électricité à des coûts inférieurs au coût marginal de la dernière centrale (au gaz, donc), pourraient être rémunérés à un prix fixe qui couvre leur coût moyen de production pendant toute la durée de leur production. Ils ont un revenu garanti. Puisqu’il s’agit d’un coût moyen, le coût du capital investi est aussi allégé. Avec le CfD donc, fixons un prix donné pour ce producteur qui peut toujours aller sur les marchés avec son électricité. Si le prix auquel il vend son électricité est supérieur au prix garanti, il rembourse la différence ; et si le prix est plus bas, cette différence est à la charge de la collectivité (l’État). De quoi rendre la tentation d’abuser les marchés et spéculer, inutile. Le volume de l’électricité éligible pour les CfD serait l’équivalent de l’objectif de l’État en renouvelable (bel incitant). Il y aurait des enchères pour garantir, via la concurrence, que les offres tendent vers le coût moyen de production.
Il y a le cas des producteurs d’énergie inframarginaux à base de ressources sans concurrence possible. On pense au nucléaire dans les pays où construire des nouvelles unités est interdit ou impossible. Eux aussi devraient se voir imposer des prix de vente mais sans répéter le modèle de l’Arenh en France : EDF doit vendre son électricité nucléaire à un prix très bas régulé (pour tenir compte de l’avantage historique qu’il a eu d’avoir son parc nucléaire avant la libéralisation) que des traders peuvent ensuite revendre aux prix du marché court terme. L’Espagne a, ceci dit, oublié le fameux acheteur unique pour ces enchères. Mais n’oublions pas non plus d’installer des capacités de production en standby pour la sécurité d’approvisionnement.
Tout ceci n’apporte pas de solution à la quadrature du cercle : pour favoriser plus de stockage, qui résoudrait le problème de l’intermittence, il faut des prix volatils qui incitent à stocker les excédents. Mais pour favoriser le renouvelable, il faut des prix stables pour encourager leur installation.
*Proposal to reform the EU’s wholesale power market, Non-paper by Spain, janvier 2023