Pourquoi la réforme fiscale des droits d’auteur est surréaliste et annonciatrice de nouvelles dérives
La récente réforme de la fiscalité des droits d’auteur est le parfait exemple de la façon dont il ne faut pas légiférer. Une chronique signée Guy Kleynen, docteur en droit.
Publié le 15-02-2023 à 09h57
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Dans la réforme de la fiscalité des droits d’auteur, il a fallu une phrase illisible de 271 mots pour la nouvelle définition de ce que sont les revenus mobiliers provenant de la cession ou de la concession de droits d’auteur. De même, comment justifier les commentaires des travaux préparatoires selon lesquels cette nouvelle définition n’engloberait plus les revenus de la concession du droit d’exploiter des programmes informatiques alors que :
- selon une directive européenne, "les pays de l'UE sont tenus d'accorder aux programmes d'ordinateur la protection du droit d'auteur en tant qu'œuvres littéraires au sens de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques" ? ;
- la Belgique a respecté cette obligation dans son Code de droit économique ;
- la différence de traitement fiscal qui en résulte viole outre le principe de la primauté du droit international, celui selon lequel le droit commun prime le droit fiscal à moins que ce dernier ne dise explicitement le contraire.
Mais le plus stupéfiant est sans doute la justification selon laquelle cette différence de traitement résulte de la volonté de soutenir un secteur artistique se trouvant dans une situation précaire.
Caractère discriminatoire
Qui ne voit le caractère hautement discriminatoire d’une telle explication puisqu’elle implique que deux bénéficiaires de revenus de droit d’auteur d’un montant identique, donc dotés de la même capacité contributive, vont être soumis à une fiscalité radicalement différente en fonction de leur secteur d’activité ?
Au surplus, en quoi la concession du droit d’exploiter un programme informatique innovant en matière, par exemple, d’intelligence artificielle serait-elle moins digne de bénéficier du même régime fiscal que celui applicable aux œuvres littéraires ?
Quant à l'explication selon laquelle il appartiendra au pouvoir judiciaire de clarifier la situation, elle est la preuve de l'existence en l'espèce de l'insécurité juridique régulièrement condamnée par la Cour constitutionnelle puisqu'elle implique que les auteurs de la loi l'ont adoptée en sachant qu'il faudra procéder en justice et attendre grosso modo une dizaine d'années pour en connaître la portée exacte. À ces incertitudes en matière fiscale, s'ajoutent celles qui concernent la façon dont la directive européenne sur les droits d'auteur et les droits voisins a été transposée en droit belge, la loi belge opérant cette transposition faisant l'objet d'un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle introduit par plusieurs géants du Web (voir LLB du 6/02).
Un monstre juridique
C’est précisément en raison de ce type de dérive fondée sur la volonté de tout compliquer que notre code fiscal est devenu un véritable monstre juridique conçu de bric et de broc, dans un style souvent illisible, sans la moindre philosophie. En bref, tout le contraire de ce qu’il était à l’origine après la codification de 1964.
Heureusement, selon notre Cour constitutionnelle, les principes de l’égalité et de la légalité sont violés lorsqu’une loi porte atteinte à la sécurité juridique à laquelle tous les citoyens doivent pouvoir prétendre. Cela implique notamment que les lois doivent être suffisamment claires, suffisamment proportionnées à la capacité contributive et suffisamment stables.
Mais le pire reste à venir en raison de l’obsession réformatrice de nos dirigeants, la réforme que l’on nous prépare visant à remettre en cause des règles fondamentales de notre fiscalité, alors qu’il s’impose de la simplifier sans toucher à ses fondations, en éliminant les complications et les hérésies dont on l’a inondée.
Taxation des plus-values
Parmi ces remises en cause figure la suppression de l’absence de taxation des plus-values privées à une époque où notamment :
1. l’inflation atteint un niveau très élevé ;
2. les véritables plus-values sont pour la plupart le résultat d’un enrichissement acquis dans le passé ;
3. les plus-values spéculatives sont taxables en tant que revenus divers ;
4. les moins-values ne sont pas déductibles ;
5. la taxation des plus-values sur actions fait double emploi avec celle des dividendes futurs qu’elles représentent et qui sont soumis à une double voire une triple imposition intégrale sous la forme d’abord de l’impôt belge et/ou étranger des sociétés et ensuite d’une double retenue à la source dans le pays d’origine et en Belgique, sans crédit d’impôt ni QFIE (quotité forfaitaire d’impôt étranger) ;
6. la transmission du patrimoine est soumise à des droits exorbitants de mutation et de succession,…