La zone agricole, espèce menacée… en voie d’extinction ?
L’urbanisation augmente en Wallonie au détriment des terres agricoles. Il faut réviser le Plan de secteur . Une chronique signée Agathe Defourny, experte ressources chez Canopea (anciennement Inter-Environnement Wallonie).
Publié le 08-03-2023 à 08h36
:focal(954x549:964x539)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/LRBNS7ZYPFA7ZHUUP32JUOCUIY.jpg)
En 2020 et 2021, en Wallonie, l’artificialisation attribuée au développement du secteur résidentiel est repartie à la hausse à un rythme de 870 ha/an. Cet indicateur était pourtant en baisse continue depuis plus de vingt ans. Cette urbanisation se fait majoritairement en respectant les zones qui lui étaient réservées au Plan de secteur. Mais, dans l’attente, ces zones n’étaient pas “vides” ni “inutilisées” : elles étaient principalement utilisées pour l’agriculture, l’élevage ou le pâturage. Aussi, lorsque l’urbanisation progresse, c’est autant d’hectares qui sont retirés à l’activité agricole, ce qui engendre une pression sans cesse croissante sur les terres disponibles pour l’agriculture. Dans d’autres cas, il s’agit de forêts ou d’espaces verts, peuplés de nombreuses espèces animales et végétales.
Dans les deux cas, c’est la biodiversité qui trinque : la perte d’habitats naturels, et leur fragmentation, est la première cause d’érosion de la biodiversité.
Transformation en zonings
À côté de cette artificialisation “prévue” au Plan de secteur, il y en a une autre, plus insidieuse : celle accordée suite à la modification du Plan de secteur, pour convertir des zones non destinées à l’urbanisation (zone agricole, forestière ou naturelle), majoritairement en zones d’activités économiques, familièrement appelées “zonings”.
Pour 2022, 180 ha sont en cours de procédure de modification pour passer d’une affection de zone agricole (environ 150 ha) ou de zone forestière (environ 30 ha) vers des zones d’activités économiques. Motif : des besoins d’espace, discutables, pour les entreprises qui estiment qu’il est plus facile et surtout moins coûteux de convertir des terres “vierges”, plutôt que de réaménager d’anciennes friches.
On compte pourtant 3 720 ha de sites à réaménager sur le territoire wallon. Ces zonings s’installent au beau milieu de nulle part, sur des terrains à l’écart des zones d’habitat. Alors qu’une meilleure mixité des fonctions est un objectif souhaité, la Wallonie persiste, à travers ses nombreuses intercommunales, à financer la création de ces zonings monofonctionnels, destructeurs de terres agricoles, éloignés de tout, sans le moindre égard pour la mobilité active et collective.
Pour encadrer ces modifications du Plan de secteur, il existe des mécanismes de compensation : un hectare passant de zone non urbanisable en zone urbanisable réclame un hectare de zone urbanisable passant en zone non urbanisable. La principale limite de ce système est qu’il n’y a aucune obligation sur l’affectation finale des terres proposées en compensation. Ainsi, entre 2005 et 2016, la Wallonie a converti 1 589 ha de zone agricole en zone urbanisable, alors que seulement 352 ha ont été réattribués à de la zone agricole, soit une perte d’environ 130 ha chaque année.
Une autre limite est que la qualité des terres données en compensation est souvent moindre que celle des terres initiales : morcelées, moins bien situées, inondables, peu accessibles, éloignées du reste des terres du propriétaire, ou simplement de moins bonne qualité agronomique.
Pression sur les prix
L’urbanisation “planifiée” (870 ha annuels) ou “compensée” (130 ha annuels), fait perdre à l’agriculture près de 10 km² chaque année (!), entraînant une hausse rapide des prix des surfaces agricoles, elle-même boostée par la demande en agrocarburants (maïs et colza) et par le rachat massif de terres par l’industrie agroalimentaire.
Cette augmentation des prix aggrave la difficulté d’accès à la terre pour ceux et celles qui souhaitent développer un projet d’agriculture paysanne économiquement, écologiquement et socialement soutenable. Pour les repreneurs d’exploitations existantes, le coût de rachat est devenu inabordable.
En 2022, du fait du conflit en cours en Ukraine et au nom de la sécurité alimentaire, le gouvernement a décidé d’autoriser la culture des jachères favorables à la biodiversité. Les modifications du Plan de secteur au détriment des terres agricoles, n’ont, elles, pas été ralenties… Cherchez l’erreur.
Une catastrophe absolue
Si 2022 a été l’année durant laquelle une révision du Code du développement territorial a été amorcée, dessinant quelques avancées environnementales importantes, il est regrettable qu’une révision fondamentale du Plan de secteur n’ait pas été incluse.
Il reste une offre potentielle de 53 800 ha “à urbaniser” au Plan de secteur. L’artificialisation future de cette surface serait une catastrophe absolue pour la Wallonie, tant pour des questions de résilience du territoire face aux dérèglements climatiques, que pour des enjeux de restauration de la biodiversité et d’accès à la terre pour l’agriculture.
Aussi, dans le cadre de la réforme du SDT (schéma de développement du territoire), Canopea plaide avec insistance pour une protection renforcée des zones agricoles, naturelles et forestières de toute urbanisation future, qu’elle soit planifiée au Plan de secteur ou non.