Comment renoncer à un usufruit ?
Que faire quand naissent des tensions en cas, par exemple, d’acquisition scindée de l’usufruit et de la nue-propriété par les parents et les enfants ? Une chronique de Rafaël Alvarez Campa, avocat associé Everest Law.
Publié le 23-03-2023 à 08h34
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Au moment de l’acquisition d’un bien immobilier ou d’un portefeuilles-titres, bon nombre d’acquéreurs s’interrogent sur la meilleure façon de procéder. Dans une perspective successorale, est-il préférable d’acquérir le bien en pleine propriété et de le céder plus tard aux enfants ? Faut-il davantage privilégier la voie de la donation préalable des fonds aux enfants afin de leur permettre d’acquérir le bien en réservant l’usage de celui-ci ou les fruits aux parents ?
Dans leurs réflexions, beaucoup d’entre eux aboutissent à la conclusion que la structure qui répond le mieux à leurs attentes, tant sur le plan civil que sur le plan fiscal, est l’acquisition scindée par laquelle les parents acquièrent l’usufruit tandis que les enfants acquièrent la nue-propriété.
Une telle acquisition présente en effet une série d’avantages dont le droit pour les parents d’occuper le bien ou de percevoir les fruits leur vie durant. Sur le plan fiscal, elle permet d’éviter le paiement des droits de succession sur le bien au décès des parents-usufruitiers.
Ce type d’acquisition s’inscrit donc dans une perspective à long terme, ce qui peut présenter des inconvénients lorsque naissent des tensions familiales. Il est évidemment possible de sortir de la construction "usufruit/nue-propriété" par le biais d’une simple vente avec l’accord de tous les intéressés.
Renonciation "abdicative"
Il est également possible de renoncer définitivement et irrévocablement au droit d’usufruit. Une telle renonciation a pour effet de rendre le nu-propriétaire plein propriétaire du bien par l’effet de la loi. Les conséquences fiscales de cet acte dépendront cependant de sa qualification.
Ainsi, il peut arriver que l’usufruitier ne soit plus en mesure de faire face aux obligations lui incombant. Tel pourrait par exemple être le cas lorsque, conformément aux nouvelles règles établies dans le cadre de la réforme du droit des biens qui est entrée en vigueur en 2021, le nu-propriétaire exerce son droit d’exiger de l’usufruitier qu’il contribue proportionnellement à la prise en charge financière des grosses réparations qui incombent normalement aux nus-propriétaires. Une renonciation à usufruit dans ce contexte, sans contrepartie et en dehors de toute volonté de gratifier le nu-propriétaire, sera qualifiée d’"abdicative" et sera soumise au droit fixe général de 50 euros.
La renonciation à usufruit peut aussi intervenir à titre onéreux ; des droits d’enregistrement de vente ou de partage seront alors dus selon les cas.
Renonciation "translative"
Enfin, il peut aussi arriver que l’usufruitier renonce à son droit avec l’intention d’en faire bénéficier le nu-propriétaire. Il s’agit alors d’une renonciation qualifiée de "translative" qui peut selon le cas être constitutive d’une donation. Tel sera le cas lorsque les éléments constitutifs d’une donation prévus par le Code civil, à savoir un appauvrissement dans le chef du donateur d’une part et un enrichissement dans le chef du donataire d’autre part, l’intention de donner dans le chef du donateur et l’acception de la donation par le donataire, sont réunis.
Il convient néanmoins de préciser qu’il appartient à l’administration fiscale de démontrer l’intention libérale dans le chef du donateur. Si elle y parvient, la renonciation sera considérée comme une donation et sera soumise aux droits de donation.
Il est à noter que, en Région flamande, le travail de l’administration fiscal est rendu plus facile par le Vlabel (Vlaamse belastingdienst, l’administration fiscale flamande) qui, au travers d’une série de décisions anticipées, a établi une présomption selon laquelle il existe une intention libérale dans le chef de l’usufruitier qui renonce à son droit si le bénéficiaire de la renonciation intervient à l’acte et/ou que la renonciation est motivée exclusivement par des motifs fiscaux ou fait partie d’un ensemble d’actes juridiques dictés par des motifs purement fiscaux.
Notons que, en matière immobilière, les conséquences fiscales de la renonciation à usufruit peuvent encore être différentes lorsque le démembrement de propriété résulte d’une donation de la nue-propriété qui a déjà été soumise aux droits de donation originaires sur la valeur de la pleine propriété. Du côté flamand, une renonciation à usufruit dans ce contexte ne donnera pas lieu à taxation, que les droits de donation aient été payés par l’usufruitier ou par le nu-propriétaire. Du côté wallon et de la Région bruxelloise, une telle renonciation demeurerait exonérée à condition que ce soit le nu-propriétaire et non l’usufruitier qui ait supporté les droits de donation originaires.