Comment l’État gère-t-il ses pépites nucléaires ?

L’excellence dans la gouvernance des organismes fédéraux nucléaires sera la clé de la survie de la filière. Une chronique signée Charles Cuvelliez, École Polytechnique de Bruxelles, ULB.

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Doel nuclear power station in DOEL (near Antwerp) in Belgium
Nos organismes jouissent d’une large autonomie, utile pour garder un cap au-delà des aléas de la politique. ©Wim Robberechts / Photo News

La question posée dans le titre semble incongrue avec le plan de sortie du nucléaire mais vit depuis l’audit de la Cour de Comptes (2020) sur l’IRE, l’Institut national des radioéléments (leader dans leur production), l’Ondraf qui gère les déchets nucléaires, l’AFCN, garant de notre sûreté nucléaire et le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (SCK-CEN), dont l’expertise perpétuera la filière. Cet audit est d’une actualité brûlante avec l’État belge bientôt à la tête d’une coentreprise nucléaire (avec Engie) sur Tihange 3 et de Doel 4, à qui on souhaite d’être aussi une pépite. Un rapport de suivi vient d’être publié par la Cour.

En 2020, à part leurs notes de politique générale, il y a peu d’interventions des ministres dans la stratégie des 4 organismes. Les ministres sont informés par les commissaires du gouvernement. Les plans de management ne leur sont pas soumis et il n’y a pas de contrat de gestion. La Cour, dans son rapport 2023, constate que cela bouge (un peu). Le SCK-CEN a reçu récemment un retour sur sa proposition de contrat de gestion de mars 2021 mais l’IRE n’a rien reçu (la cellule stratégique de la ministre compétente annonce une finalisation). L’Ondraf a un contrat de gestion et un protocole, suffisant du fait de son indépendance, a été conclu entre l’AFCN et la ministre de l’Intérieur. Avec l’arrêté royal encadrant leurs subsides, l’Etat dispose déjà de modalités de contrôle pour l’IRE et le SCK-CEN.

Contrôle de l’État

Nos organismes jouissent d’une large autonomie, utile pour garder un cap au-delà des aléas de la politique. Elle est encadrée par les conseils d’administration (CA) et par la tutelle des ministres via les commissaires du gouvernement. Ils sont leurs porte-voix, vérifient qu’on y travaille dans l’intérêt général et le respect de la législation. Ils reçoivent des instructions des ministres mais aucune disposition ne précisait, en 2020, leur profil de compétence, notait la Cour (l’AFCN fait exception en le précisant dans l’arrêté royal de nomination). Or les commissaires ont du pouvoir en exerçant un recours suspensif (rare grâce au consensus qui prévaut aux CA).

La plupart des commissaires n’avaient pas reçu en 2020 de lettre de mission de leur ministre. Ils n’ont pas d’obligation de faire rapport. Leurs interventions, réelles, sont fonction de leur formation, d’où l’intérêt de fixer leur profil de compétence.

La Cour aimerait aussi que les SPF Économie et Intérieur soient davantage consultés car le premier est impliqué dans l’élaboration de la politique énergétique du pays - il a même un département des affaires nucléaires - et l’autre est évidemment concerné par la sûreté nucléaire. En 2023, la Cour des Comptes constate des progrès (lettre de mission pour les commissaires du SCK-CEN et l’AFCN).

Autoévaluation des CA, audit interne

Les missions et responsabilités des CA respectifs étaient bien définies en 2020 mais il n’y avait aucune règle d’autoévaluation des CA. Depuis lors, tous les organismes ont prévu quelque chose (mis en pratique pour l’Ondraf et le SCK-CEN).

La gestion des risques se focalise sur les risques opérationnels et de sûreté nucléaire (tant mieux) mais il manque les autres risques (organisationnels, juridiques ou RH).

La réglementation impose l’organisation d’un audit interne depuis 2019 pour 3 des 4 organismes (à l’exception de l’IRE). L’AFCN en a créé un dès 2008 (une seule personne occupe la fonction).

La fonction d’audit est externalisée pour l’Ondraf tandis que l’IRE estimait ne pas en avoir besoin (depuis, un comité d’audit existe dans son CA).

Bref, la Cour verrait d’un bon œil que le Comité d’audit fédéral et le Service d’audit interne fédéral mettent les organismes dans leur périmètre. Ils feraient rapport aux ministres compétents, mutualiseraient les ressources et garantiraient l’indépendance des comités d’audit.

L’AFCN a été dans ce sens avec le Service d’audit interne fédéral. L’IRE a créé un comité d’audit interne. L’Ondraf a attribué un marché public. Le SCK-CEN a déjà un auditeur interne, dit-il. Chacun a sa réponse mais on dira que leur statut qui diffère le leur permet : l’IRE et le SCK-CEN sont des fondations de droit privé, l’AFCN un parastatal et l’Ondraf a sa propre loi.

Contrôle des filiales

L’IRE détient 4,72 % dans IBA coté en Bourse. Belgonucléaire a cessé ses activités mais doit gérer ses déchets, elle qui est détenue à 50 % par le SCK-CEN et 50 % par Engie (sera-t-elle concernée par les caps sur les déchets négociés avec Engie ?).

Aucune filiale ne fait tache par rapport à la mission de l’organisme qui les détient mais les CA doivent plus s’y intéresser. Seuls l’IRE et le SCK-CEN pour la Belgonucléaire ont un point régulier à l’ordre du jour du CA. Les filiales ne sont pas incluses dans le périmètre de l’audit interne.

Les commissaires devraient aussi assister au CA des filiales (pensons aussi à Bel-V à laquelle l’AFCN sous-traite par contrat une quantité de contrôles). En 2023, la Cour est satisfaite : les CA sont tenus informés des filiales.

Sur les 12 recommandations de 2020, 6 restent à mettre en œuvre. Il y en a pour tout le monde : ministres de tutelle, législateur, surtout sur la professionnalisation des commissaires aux comptes, les contrats de gestion de l’IRE et du SCK-CEN, l’organisation de l’audit interne. Autant se dépêcher : une inspection internationale par les pairs de l’AFCN (IRSS) et de l’Ondraf (Artemis) se profile cette année.

Des pépites qui brillent, c’est mieux !

Pour en savoir plus : Organismes du secteur nucléaire de l’État. Maîtrise des risques de gouvernance : suivis 2021 et 2022 des recommandations. Rapport de la Cour des comptes transmis à la Chambre des représentants Bruxelles, mars 2023.

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