Ces hérésies de la fiscalité belge
Réformer, oui, mais en commençant par éliminer de notre législation toutes les inepties dont on l’a inondée. Une chronique de Guy Kleynen, docteur en droit.
Publié le 31-03-2023 à 08h32
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Un des piliers de toute fiscalité moderne réside dans l’adoption d’un barème fiscal assurant une progressivité aussi équilibrée que possible de l’impôt. D’où la volonté de notre ministre des Finances de procéder à une réforme fiscale qui serait axée sur un (beaucoup trop) timide élargissement tant de la quotité des revenus dits exemptés d’impôt que de la tranche imposable au taux de 45 %.
Une exemption qui est une réduction
Mais ce qu’on qualifie d’exemption n’en est pas une. Le mot exemption est synonyme d’exonération, et signifie donc absence d’imposition. Or, ce dont il s’agit ici, c’est d’une simple réduction d’impôt, la même pour tous, correspondant à 25 % du montant prétendument exempté.
Ainsi, supposons un barème axé sur des tranches d’imposition de 10 000 euros soumises à des taux progressifs augmentant de 10 % par tranche et sur une exemption de 10 000 euros. Un contribuable dont le revenu est de 40 000 euros devrait être taxé sur 30 000 euros en sorte qu’il serait redevable d’un impôt de 1 000 euros sur la première tranche imposable (la tranche de 10 à 20 000), de 2 000 euros sur la deuxième et de 3 000 euros sur la troisième, soit au total, 6 000 euros représentant un taux moyen de 15 %.
Or, dans le système tel qu’il est pratiqué en Belgique avec une prétendue exemption qui est en réalité une réduction d’impôt au taux le plus bas, l’impôt sur les différentes tranches successives est de 0 sur la tranche de 0 à 10 000 euros et de, respectivement, 2 000 euros, 3 000 euros et 4 000 euros sur les trois tranches suivantes, soit 9 000 euros au total, et donc un taux moyen d’imposition de 22,50 %, de 50 % plus élevé que celui de 15 % en cas d’exemption au vrai sens du terme.
Fiscalité erratique et inégalitaire
Mais le système de calcul de l’impôt présente en Belgique bien d’autres incohérences comme l’illustrent les conséquences du régime applicable aux réductions d’impôt pour pensions et autres revenus de remplacement. Cela nous mènerait trop loin de tenter d’analyser la rationalité ou plutôt l’irrationalité des textes légaux relatifs à cette matière, laquelle fait l’objet, dans un style illisible, d’un bricolage aux conséquences irréfléchies.
Bornons-nous à comparer les conséquences chiffrées sur la progressivité de l’impôt du système de calcul applicable à ces revenus. Il en ressort que, alors que les pensions ne bénéficient d’aucune déduction de l’assiette imposable, les effets du barème actuel combiné avec la technique des réductions d’impôt dégressives accordées à ces revenus sont tels que, grâce à une réduction d’impôt de base de 1 841,96 euros et à une réduction additionnelle de 378,96 euros, un contribuable isolé qui dispose exclusivement d’une pension n’est redevable d’aucun impôt lorsque la pension n’excède pas 16 290 euros (1). Mais si la pension s’élève, par exemple, à 17 000 euros, soit 710 euros de plus, un impôt de 319,55 euros est dû, ce qui représente un taux marginal d’impôt de 319,55/710 = 45 % du revenu dépassant la limite de 16 290 euros (2).
Et si le seul revenu imposable consiste en une pension de, par exemple, 23 000 euros, la tranche de ce revenu qui excède 16 290 euros, soit 6 710 euros, est soumise à un impôt de 3 019,98 euros, soit un taux marginal, lui aussi, de 45 %, largement supérieur à celui, déjà exorbitant, de 40 % qui frappe les revenus ordinaires imposables dans la tranche comprise entre 13 540 et 23 900 euros.
Voilà qui prouve bien que tous les Belges ne sont pas égaux devant les taux d’imposition.
Et si notre pensionné est propriétaire, par exemple, d’un terrain doté d’un revenu cadastral imposable de 1 000 euros (soit un montant non indexé de 536,77 euros), ce revenu additionnel est soumis à un supplément d’impôt de 56,88 % lorsque sa pension est de 17 000 euros, soit nettement plus que le taux marginal le plus élevé de 50 %.
On se demande en quoi la capacité contributive attachée à ce petit revenu additionné à une pension modique justifie un traitement à ce point inégalitaire.
Le sommet de l’incohérence
Mais le sommet de l’incohérence est atteint lorsque le revenu additionnel est originaire d’un pays qui a conclu avec la Belgique une convention internationale préventive de la double imposition. En ce cas, pareil revenu est théoriquement exonéré d’impôt sous réserve de progressivité, ce qui veut dire qu’il ne peut pas être imposé en lui-même mais qu’il peut être pris en considération pour la fixation du taux moyen de l’impôt applicable aux autres revenus.
En ce cas, un revenu étranger exonéré de 1 000 euros va entraîner un supplément d’impôt de 38,59 % ou de 10,09 % selon que le revenu imposable est une pension de 18 000 ou de 80 000 euros.
Vous avez bien lu :
- c’est dans le chef du contribuable dont la pension est plus de quatre fois plus élevée que le même revenu additionnel de 1 000euros est près de quatre fois moins taxé ;
- le taux de 38,59 % applicable effectivement à un revenu exonéré de 1 000 euros qui s’ajoute à une pension de 18 000 euros est presque égal au taux de 40 % auquel ledit revenu serait soumis s’il n’était pas "exonéré".
Et il ne s’agit là que de quelques exemples des hérésies de notre fiscalité parmi une multitude d’autres. D’où ma conclusion : réformer, oui, mais en commençant par éliminer de notre législation toutes les inepties dont on l’a inondée.
1) Tous les taux et montants sont calculés sans tenir compte des additionnels communaux et d’agglomération.
2) Tous les calculs ont été effectués sur le simulateur de calcul "tax calc".