La réforme des retraites en France, un débat de société complexe

Une opinion de Fabien Boniver, maître de conférences HEC-Ecole de gestion de l'Université de Liège.

Contribution externe
<p>Des manifestants à Nantes lors de la 11e journée d'action contre la réforme des retraites, le 6 avril 2023</p>
Pourtant, un principe d’équilibre doit être respecté à long terme : la mutualisation de ces cotisations doit couvrir la charge des prestations. ©AFP

Concevoir une assurance n’est pas toujours simple, notamment parce que le "prix d’achat", qui est le coût des prestations de l’assureur, n’est pas connu lorsqu’il fixe son "prix de vente", soit, le montant des primes. Pourtant, un principe d’équilibre doit être respecté à long terme : la mutualisation de ces cotisations doit couvrir la charge des prestations. À la valeur moyenne de celles-ci s’ajoutent l’effet du temps (inflation, intérêts), les frais de fonctionnement et le coût du risque porté par l’assureur, qui peut ainsi financer son développement, le besoin prudentiel de solvabilité et la rémunération des actionnaires au terme des années favorables.

On le sait, les systèmes obligatoires de retraites belge et français répartissent les cotisations des actifs durant une année pour financer les pensions des retraités la même année. Cette approche, généralisée après la Seconde Guerre mondiale, devait pallier la fragilité des mécanismes de capitalisation individuelle alors minés par l’inflation ; elle s’appuyait, en contrepartie, sur une démographie favorable.

Le fonctionnement de tout mécanisme de retraites exige le maintien d’un équilibre économique délicat.

Besoin de rénovation du système

Pourtant, il y a vingt ans, à l’université, le besoin de rénovation du système par répartition découlant de l’évolution de la tendance démographique était déjà bien connu. Les projections prévoyaient en effet le doublement du ratio des retraités aux cotisants à l’horizon 2030-2040 : il y aurait alors moitié moins de cotisants pour payer les retraites…

Cette illustration montre que le fonctionnement de tout mécanisme de retraites exige le maintien d’un équilibre économique délicat. Pour justifier sur le fond le projet de réforme des retraites qui divise actuellement la France, le Président français n’a pas dit autre chose sur TF1 le 22 mars. Constatant l’augmentation du nombre de retraités, il a indiqué rapidement que la réforme était une nécessité, invoquant qu’on ne pouvait raisonnablement, aujourd’hui, ni baisser les pensions des retraités, ni augmenter les cotisations des actifs et que le financement par des impôts supplémentaires, par le report d’autres réformes importantes (santé, écoles…) ou par le déficit de l’État n’était pas non plus viable.

Une grogne de la foule

Peut-on s’arrêter là ? Je pense plutôt que la grogne violente et continuée de la foule qui "n’a pas de légitimité" devrait retenir davantage notre attention, pour deux raisons.

D’abord, rationnellement, car les déductions seules ne suffisent pas : il faut aussi un accord sur les postulats qui les établissent. Ainsi du postulat qu’on ne peut diminuer les pensions des retraités français actuels ; ainsi aussi du postulat que les entreprises françaises ne doivent pas contribuer au financement des pensions parce que "ce n’est pas comme ça que marchent les retraites". Cet accord procède de choix partagés en société, qui font partie d’un contrat social plus large. J’espère que les décisions qui étaient attendues du Conseil constitutionnel ce vendredi 14 avril renverront aussi avec mesure à cette notion.

Ensuite, parce que rien n’impose au peuple souverain de choisir rationnellement ses élus. C’est inévitable mais potentiellement funeste. Paraphrasant Machiavel, on pourrait donc conclure que pour le bien du plus grand nombre, le devoir des élus reste de résoudre les questions avant que l’émotion des citoyens ne les ait rendues insolubles.

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