Ça chauffe ! Il est temps de changer de lunettes

Sous la pression grandissante, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à considérer le défi de la préservation d’un monde vivable et durable. Mais la réponse de ces acteurs aux enjeux environnementaux et sociaux est-elle suffisante ? Une chronique de Maxime de Cordes, fondateur du podcast Bonjour Demain.

La Commission mondiale sur l’Environnement et le Développement définit le développement durable comme "un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs". Cette définition se traduit en pratique aujourd’hui par l’atteinte d’ici à 2050 de l’objectif de neutralité climatique – ou neutralité carbone – fixé par l’Union européenne dans le cadre de l’Accord de Paris (cette ambition ne répond qu’à une seule des neuf limites planétaires dont je ferai abstraction dans cette contribution par souci de concision).

Comment ? Le paradigme qui prévaut aujourd’hui au sein des entreprises consiste à miser sur un mix de nucléaire et d’énergies renouvelables et sur l’avènement de nouvelles technologies dites « vertes » (électrolyseurs, panneaux solaires, batteries, etc.) pour capter ces nouvelles sources d’énergie, améliorer l’efficacité énergétique et réduire, capturer ou stocker les gaz à effet de serre (GES). Pour les émissions de GES irréductibles, il existe un marché de la compensation carbone volontaire pour acheter des crédits carbone et financer ainsi des programmes de réduction ou de séquestration de GES ailleurs dans le monde (ex. : plantation d’arbres).

Cette conduite du développement durable est nécessaire mais elle est cependant loin d’être suffisante pour se donner une chance d’atteindre les objectifs climatiques dans les délais impartis, outre le fait qu’elle souffre de quelques faiblesses.

Moins de 18% d'énergies renouvelables

En effet, malgré une augmentation de 25% de leur consommation entre 2010 et 2019, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie dans le monde ne représentait que 17,7% en 2019 contre 16,1% en 2010 (UNSD). Il faudrait ainsi doubler la cadence de leur déploiement pour rester sur la trajectoire d’un monde zéro émission nette d’ici à 2050 (GIEC), non sans risque d’ailleurs pour l’environnement (ex : extraction massive des métaux rares). Pour ce qui est de l’efficacité énergétique, l’intensité carbone du produit intérieur brut (PIB) à l’échelle mondiale a diminué de 33,5% entre 1965 et 2017. Mais sur la même période, le PIB mondial en dollars constants a augmenté de 560% (Banque mondiale) de sorte que l’économie de ressources a été complètement absorbée par la hausse des volumes. Enfin, les projets de stockage de CO₂ en plantant des forêts incitent finalement les entreprises à continuer à polluer en s’achetant une conscience de sorte que l’ensemble de leurs promesses de compensation carbone est incompatible avec la surface disponible sur Terre.

Toutes ces défaillances au regard des prescrits préconisés par la science résultent en réalité d’un même postulat intrinsèque au système capitaliste néolibéral, celui d’une croissance infinie dans un monde aux ressources naturelles pourtant bien limitées. Un écueil sur lequel viennent s’échouer nombre de stratégies de décarbonation conservatrices et que les entreprises évitent d’affronter par complaisance, peur du changement ou appréhension financière. Au contraire, elles s’évertuent à préserver le système économique actuel et se rassurent ainsi en se cachant derrière le mirage de la « croissance verte » ou du découplage qui, selon la théorie, verrait l’indice économique continuer à croître en parallèle d’une diminution de la consommation de ressources et d’énergie, notamment grâce aux technologies propres. Jusqu’à entendre aujourd’hui l’adage du greenwashing 2.0 selon lequel "le développement durable accélèrera la croissance de l’entreprise" !

Intégrer le coût social et environnemental

Mais, n’en déplaise aux prophètes du découplage, la croissance économique au niveau mondial est depuis 60 ans étroitement corrélée à l’utilisation des ressources et à la consommation d’énergie. Or comme le fait remarquer l’ingénieur français Jean-Marc Jancovici, cette énergie est produite encore aujourd’hui à plus de 80% à partir de combustibles fossiles de sorte que la courbe du PIB est liée à celle des émissions CO₂.

Quelles solutions pour s’extirper de ce tiraillement entre des ambitions contradictoires ?

D’abord, il est urgent, dans les conditions actuelles, que les entreprises intègrent le coût social et environnemental de leurs externalités négatives dans leur comptabilité comme le préconise notamment Dr. Bruno Colmant.

Ensuite, les entreprises doivent se libérer de l’économie linéaire et extractive – extraction, production, consommation, fin de vie – et adapter leur modèle d’affaires à la lumière des sept piliers de l’économie circulaire et régénérative, notamment l’écoconception, l’économie de la fonctionnalité, l’allongement de la durée d’usage et le recyclage des matériaux. Cette évolution du modèle économique invite les entreprises à se remémorer ou à formaliser leur raison d’être, c’est-à-dire l’effet qui réponde au besoin fondamental des clients. Et ensuite à évaluer leur performance au regard de cet effet et non plus en fonction de la quantité des moyens vendus aux clients pour le générer. Par exemple, l’aéroport d’Amsterdam Schiphol n’est plus propriétaire de ses ampoules (i.e. les moyens) mais loue ce service d’éclairage (i.e. l’effet) aux fournisseurs Philips et Cofely. Ce faisant, la consommation d’énergie a pu être réduite de 50% et la durée de vie des structures a été augmentée de 75%.

Sobriété

Cette nouvelle logique de performance induit naturellement une certaine sobriété à l’offre des entreprises par ailleurs nécessaire, et qui devrait être récompensée, au risque de voir les gains en matière environnementale et sociale être effacés par la croissance des volumes.

Ce nouveau paradigme économique à l’œuvre appelle un changement culturel, au moyen de nouveaux récits, qui redéfinisse les notions de croissance et de progrès et influe sur nos représentations sociales et nos modes de vie. Aux personnes qui me répondront que ce changement culturel n’est pas réaliste, je leur réponds que la perspective d’une vision salvatrice qu’on croit utopique mobilise davantage les forces vives pour le bien-être des générations futures que celle d’une vision rassurante qu’on sait insuffisante.

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