La réforme fiscale passe par une réforme morale

C’est un banal aménagement des règles existantes, plutôt qu’une réforme en profondeur. Et une dégradation de la fonction législative. Une chronique signée Guy Kleynen, docteur en droit.

Contributeur externe
Argent euro taxe réforme fiscale
La fiscalité belge est confrontée à un besoin de réforme en profondeur tant elle apparaît bancale à la suite des multiples modifications qui l’ont inondée d’exceptions aux principes. ©Shutterstock

À l’heure où il est question de réformer la fiscalité, force est de constater que ce qu’on nous présente comme une volonté de réformer ne constitue en rien une amorce de réforme au sens propre du terme. C’est plutôt un banal aménagement des mesures existantes, le but étant de réduire le taux d’imposition des revenus du travail en compensant le manque à gagner par de nouvelles recettes.

Et ceci alors que notre fiscalité est confrontée à un besoin de réforme en profondeur tant elle apparaît bancale à la suite des multiples modifications qui l’ont inondée d’exceptions aux principes, ainsi que d’exceptions aux exceptions. Ce qui la rend de plus en plus incompréhensible et, corrélativement, source de graves insécurités juridiques pour les contribuables et pour les investisseurs.

Les causes de cette dégradation

À la base de cette dégradation permanente, il y a à la fois la volonté de l’administration de boucher toutes les fissures par lesquelles la matière imposable est susceptible de s’échapper, celle de vouloir tout réglementer en détail plutôt que de travailler par l’énoncé de principes facilement compréhensibles, celle de vouloir étendre certains impôts à des situations qui ne sont constitutives d’aucun revenu, celle de limiter, voire de supprimer, le droit de choisir la voie la moins imposée.

S’y ajoutent les idées préconçues, l’incapacité du législateur à maîtriser et à analyser certaines réalités économiques, le lobbying de certains secteurs d’activité, la volonté d’en privilégier certains, des dérives dans le recours à l’ingénierie fiscale, les réactions législatives qu’elles suscitent en cascades, etc.

Et, surtout, il y a, comme nous allons le démontrer, l’incapacité du législateur à faire du travail sérieux et objectif en respectant les réalités économiques ainsi que les principes fondamentaux du droit. Ce à quoi s’ajoute une insuffisance de réactivité du contribuable face aux abus dont il est la victime.

Exit le principe "dura lex sed lex"

On l'oublie trop souvent, le sacro-saint principe dura lex, sed lex est révolu depuis que la jurisprudence a évolué dans le sens :

  • de la primauté sur le prescrit légal des principes du droit international et des droits fondamentaux du citoyen ;
  • de la responsabilisation corrélative de l’État à l’égard des citoyens victimes de la violation de ces principes tant par le législateur que par les administrations publiques.

Grâce en soit rendue notamment à la Cour européenne des droits de l’homme, à la Cour de justice de l’Union européenne, à notre Cour constitutionnelle ainsi qu’à notre Cour de cassation et aux autres juridictions de fond !

Responsabilisation corrélative de l’État

C’est ainsi notamment que le contribuable est désormais en mesure de contester l’application des lois fiscales et les pratiques administratives qui ne respectent pas, notamment, le principe de l’égalité de tous les citoyens, ceux de la proportionnalité, de la sécurité juridique, de la légitime confiance, de la non-rétroactivité des lois, du droit à une bonne administration, du droit de propriété et de l’obligation pour le législateur de fixer lui-même les principes essentiels de l’impôt.

De même, le contribuable est de plus en plus en mesure de réclamer à l’État des dommages et intérêts en réparation du préjudice qui lui est causé par la violation des principes précités.

Malheureusement, il ne fait que trop rarement usage de ses droits face aux mesures de plus en plus irréfléchies et de plus en plus arbitraires dont il est la victime.

Un exemple surréaliste

Un magnifique exemple de ces abus manifestes ainsi que de l’absence de réaction qu’ils ont suscitée nous est fourni par la loi de décembre 2017 qui a réformé en profondeur 23 matières relevant de l’impôt des sociétés, en ce compris une réduction du taux de l’impôt des sociétés, la réforme étant étalée sur une période de trois ans.

Dans l’indifférence la plus totale, le législateur y a introduit, avec effet rétroactif, une fiction en vertu de laquelle toutes les modifications de date de clôture décidées à partir d’une date remontant à cinq mois avant l’adoption de la loi et s’étendant sur la période de trois ans couverte par celle-ci, sont censées, sans exception, ne pas avoir eu lieu.

Selon les travaux préparatoires, le but de cette disposition est "d'éviter que les sociétés modifient "artificiellement" (sic) la date de clôture de leur exercice social". Tandis que la circulaire administrative (de plusieurs dizaines de pages) qui est consacrée à cette matière ajoute : "En le prolongeant ou en le raccourcissant pour profiter plus tôt de dispositions avantageuses ou pour retarder l'application de dispositions préjudiciables" (resic).

Dans une prochaine chronique (dans le supplément économique à paraître le 29 avril, NdlR), nous analyserons les différents aspects inconstitutionnels et surréalistes de cette législation ainsi que l’absence de réaction des sociétés concernées, lesquelles semblent avoir accepté jusqu’à présent de se soumettre aux contraintes exorbitantes et manifestement illégales qui leur ont été imposées alors que, pourtant, des voies de recours leur sont ouvertes.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...