Pourquoi la faillite de la Silicon Valley Bank est à torts partagés
La technologie digitale a changé à tout jamais la vitesse et l’intensité des "bank runs". Une chronique de Charles Cuvelliez (École Polytechnique de Bruxelles - ULB et Belfius Risk Department), Bruno Colmant (Université libre de Bruxelles) et Jean-Jacques Quisquater (École Polytechnique de Louvain, UCLouvain et MIT).
Publié le 17-05-2023 à 11h27 - Mis à jour le 17-05-2023 à 11h28
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Voir des autorités de supervision admettre une part de responsabilité dans le fiasco bancaire américain est rare. C’est pourtant ce que la Fed confesse dans un rapport publié fin avril alors que la déroute bancaire américaine généralisée n’est toujours pas terminée.
Une banque au modèle commercial hyperconcentré (qui vise les start-up), avec un risque sur les taux d’intérêt gérés uniquement à la baisse (car elle aurait engendré une baisse des revenus) et trop de confiance dans des dépôts non garantis, un conseil d’administration qui a échoué à gérer les risques, qui n’était d’ailleurs pas bien informé sur la gestion des risques et qui n’a pas donné cet objectif au comité de direction : voilà les erreurs de la Silicon Valley Bank (SVB), d’après le rapport de la Fed.
La faillite de la banque SVB aura été un problème de liquidités qui n’étaient pas disponibles mais tout est, au fond, parti, dit la Fed, d’un problème de solvabilité. SVB n’avait rien mis en place pour obtenir des liquidités au cas où.
Les leçons de la Fed
La Fed en tire toutefois des leçons génériques pour elle : les superviseurs n’ont pas pris la mesure des vulnérabilités grandissantes de la banque qui croissait sans contrôle, au fur et à mesure que les dépôts coulaient à flot (quand on se battait pour investir dans les start-up). Pis : quand les vulnérabilités étaient claires, après beaucoup de tergiversations, les superviseurs de la Fed n’ont pas forcé SVB à agir vite… C’est tout un secteur qui s’est endormi après dix ans de stabilité du monde bancaire et de bons résultats engrangés depuis la grande crise. De ce fait, on n’a rien vu venir, semble s’excuser la Fed.
Médias sociaux et cascade
La combinaison des médias sociaux, des clients (des start-up), très connectés entre eux, et la technologie digitale auront changé pour toujours la vitesse et l’intensité avec laquelle un bank run (tous les clients qui veulent retirer leur argent en même temps) peut avoir lieu : 40 milliards de dollars US le 9 mars, et 100 milliards le 10 mars, soit 85 % des dépôts de la banque !
La contamination, en cascade, de la faillite d’une banque régionale hyperconcentrée à d’autres banques traditionnelles qui offrent des services financiers et des crédits à des individus, des familles et des entreprises a été l’autre mauvaise surprise… Cela fera désormais partie d’une supervision spécialisée et des recherches seront menées pour mieux comprendre. La Fed voudrait aussi pouvoir dépasser les contraintes réglementaires en exigence de capital ou de liquidités, tant que les risques identifiés ne sont pas gérés.
Les banques devront prendre en compte les bénéfices ou pertes non réalisés sur les actifs servant à garantir les dépôts. On alignera les obligations en capital sur les vraies positions financières des banques et les petites banques seront régulées comme des grandes à partir de 100 milliards d’actifs.
D’autres faillites, d’autres profils
Soit, mais entre SVB et PacWest dont le marché semble attendre la déroute, il y a eu trois banques en faillite aux profils les plus divers, loin de SVB. Le point commun, c’est tout de même la remontée brutale des taux d’intérêt. Le remède commun, ce sont les autorités publiques américaines qui tentent d’arrêter le cycle infernal des bank runs par des mises sous tutelles des banques, les unes après les autres, via des rachats planifiés et des augmentations de garantie des dépôts.
L’Europe n’est pas contaminée grâce à une réglementation bancaire harmonisée, sévère et un système bancaire moins fragmenté. L’épargne est peu mobile chez nous car les taux d’intérêt sont alignés dans la zone euro. Avoir un compte dans un autre pays de la zone euro sans y être résident n’est pas aisé. Les banques sont pleines de dettes publiques dont la solidité entretient celle des banques. Tout ceci rend le bank run à l’américaine peu probable mais cela a un prix : l’actionnaire bancaire européen est moins rémunéré et le déposant bancaire européen a un rendement plus affecté par l’inflation que l’épargnant américain. Un point reste à éclaircir toutefois : le rôle des ventes à découvert qui fait pour l’instant tanguer PacWest.
Pour en savoir plus : Review of the Federal Reserve’s Supervision and Regulation of Silicon Valley Bank, April 2023, Board of governors of the Federal Reserve System.