Les syndicats belges devraient-ils s'inspirer de leurs voisins nordiques pour régler le conflit chez Delhaize ?
Plus souvent qu'autrement, la menace d'une grève, d'une grève de solidarité et d'un boycott est suffisante pour faire réfléchir les managers trop enthousiastes. Une chronique de Stan De Spiegelaere, professeur invité à l'UGent et membre du think tank Minerva.
- Publié le 07-06-2023 à 08h28
- Mis à jour le 07-06-2023 à 09h32
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Des universitaires et des militants appellent à boycotter Delhaize. Cela peut sembler étrange, pourtant les boycotts stratégiques sont essentiels pour maintenir le contrat social, comme nous l'apprennent les Danois, les Suédois et les Finlandais.
Dans les années 80, McDonald's est arrivé au Danemark et a apporté avec lui non seulement des hamburgers, mais aussi des conditions de travail à l'américaine. Les hamburgers ont été appréciés, mais l'importation de la façon américaine de faire des affaires a été moins bien accueillie : pas de syndicats, pas de dialogue social, pas de sécurité de l'emploi et des salaires très bas. Chaque main tendue, chaque invitation à discuter de la façon dont les Danois voient les choses a été rejetée.
Cela a clairement sapé le contrat social au Danemark. Non seulement en raison du manque de concertation et de négociations avec les syndicats, mais aussi parce que cela inciterait d'autres entreprises à faire de même. Si une entreprise mine les normes du secteur, d'autres doivent souvent suivre.
McDonald's fait marche arrière
Finalement, le syndicat n'a vu d'autre alternative que de complètement isoler l'entreprise : grèves de solidarité et boycott des consommateurs. Les dockers ont refusé de décharger les conteneurs de McDonald's, les ouvriers du bâtiment ont arrêté les chantiers de McDonald's, les agences de publicité et les imprimeries ont cessé de faire réclame pour l’entreprise, et les camionneurs ont garé les camions de boissons et de nourriture destinés à McDonald's. De plus, il y a eu un boycott ciblé des consommateurs avec des actions contre les restaurants : tout le monde était appelé à aller chercher ses hamburgers ailleurs.
Toute la société a été mobilisée pour préserver le contrat social basé sur le dialogue et les négociations. Avec succès. Finalement, la chaîne de restauration rapide a fait marche arrière et a signé un accord sectoriel, ce qui a permis aux employés de McDonald's au Danemark de bénéficier d'une série d'avantages dont les travailleurs américains rêvent : 6 semaines de congés payés, des congés maladie et des salaires relativement élevés.
Et ne vous y trompez pas. Le boycott de McDonald's par les Danois n'est pas un cas isolé. Nos voisins du Nord doivent régulièrement sortir les grands moyens pour défendre leur modèle social tant vanté.
Boycott des candidatures en Finlande
Il y a quelques années, les Finlandais ont fait de même lorsque qu'une entreprise voulait appliquer un autre accord sectoriel (pensez à Delhaize en Belgique). Des grèves ont eu lieu dans toute la chaîne de production contre l'entreprise. Et cette année encore, les membres du syndicat finlandais PAM ont reçu un courriel avec une demande surprenante pour la Belgique : le syndicat a demandé à ses membres de ne pas postuler pour des emplois auprès d'une entreprise spécifique qui ne respectait pas le dialogue social. La grève dans cette entreprise a été renforcée par un boycott des candidatures, privant ainsi l'entreprise de la main-d'œuvre essentielle.
Finalement, un accord a été rapidement trouvé là aussi. Et c'est souvent le cas. Plus souvent qu'autrement, la menace d'une grève, d'une grève de solidarité et d'un boycott est suffisante pour faire réfléchir les managers trop enthousiastes.
Le partenariat repose sur un équilibre des pouvoirs
Nos amis scandinaves sont-ils alors des agitateurs et des révolutionnaires ? Pas du tout. Ces pays sont connus pour leur manière très constructive de négocier socialement, où les syndicats et la direction gèrent souvent l'entreprise en partenariat. Il y a quelques années, l'ancien ministre des Pensions (et actuel Premier ministre) Alexander De Croo (Open Vld) s'est rendu en Suède pour se familiariser avec le "modèle suédois" de négociation sociale. Le "modèle de consensus" nord-européen compte de nombreux partisans, et pas seulement dans les milieux de gauche.
Ce que certains oublient souvent de dire, c'est que le partenariat et le modèle de consensus reposent sur des syndicats puissants qui, lorsqu'ils le peuvent, collaborent. Mais qui peuvent aussi, si nécessaire, isoler totalement une entreprise lorsqu'elle viole le contrat social. Le dialogue constructif, le dialogue et les négociations ne peuvent se développer que là où l'équilibre des pouvoirs est bien établi. Et pour garantir cet équilibre des pouvoirs, les travailleurs et les syndicats ont besoin d'actions collectives, telles que des grèves, des grèves de solidarité et des boycotts ciblés.
Instrument essentiel
Revenons à la Belgique. Ici aussi, Delhaize tente de saper le contrat social en faisant suivre à ses magasins d'autres accords sectoriels, ce qui affaiblit les conditions de travail. Ici aussi, l'action de cette seule entreprise menace de déclencher un effet domino dans tout le secteur. L'un des slogans de la journée d'action de ce lundi n'était pas sans raison "aujourd'hui Delhaize, demain à qui le tour ?".
L'appel au boycott de Delhaize peut certes susciter des interrogations en Belgique, mais un regard vers le Nord (tant vanté) nous apprend qu'il s'agit d'un instrument essentiel pour protéger le contrat social. Ce contrat repose sur le dialogue et les négociations sectorielles qui garantissent un salaire équitable pour les travailleurs effectuant un travail similaire dans un secteur donné. Une entreprise ne peut pas simplement se soustraire à ce contrat. Donc, si nous voulons préserver notre modèle social, nous devons agir comme nos voisins nord-européens : boycotter Delhaize.