Pourquoi il sera plus sûr d’avoir des e-euros dans sa banque que des euros classiques

Tour d'horizon sur la projet de la Commission relatif au futur usage de l'e-euro. Une chronique signée Jean-Jacques Quisquater (Ecole Polytechnique de l'UCLouvain), Bruno Colmant (Université de Bruxelles, Solvay Business School) et Charles Cuvelliez (Université de Bruxelles, Ecole Polytechnique de Bruxelles et Belfius).

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Si les paiements en e-euros seront gratuits pour les utilisateurs, il y aura des frais pour les commerçants. ©Shutterstock

Ca y est, l’e-euro devient concret : la Commission a publié le 28 juin son projet de règlement qui en trace les contours. La valeur de l’e-euro réside surtout dans sa plus-value sociétale, en contrant la fragmentation des moyens de paiement et en servant de moyen de paiement transfrontalier

Concrètement, il s'avère que l'e-euro ne différera pas des pièces et des billets de banque : il est une créance vis-à-vis de la banque centrale européenne.

Pour obtenir et utiliser des e-euros, il faudra passer par un fournisseur de service de paiement, qui le proposera en plus de ses autres services de paiement. L’idée du compte en banque directement auprès de la Banque Centrale Européenne (BCE) est donc oubliée. Et puisque le fournisseur de solution de paiement n’est pas partie prenante dans la créance, une éventuelle faillite n’impactera pas l’utilisateur d’e-euro. En théorie, il est donc plus sûr d’avoir des e-euros que des euros dans sa banque.

Par ailleurs, on ne sera universellement obligé ni d’accepter des e-euros car tout le monde n’aura pas la possibilité d’accepter du cash numérique, ni d’évoquer des exceptions comme les micro-entreprises, les organisations à but non lucratif ou les activités rémunérées purement domestiques.

Les opérations traditionnelles comme placer des fonds, retirer des espèces et exécuter (ou recevoir) des opérations de paiement vers et depuis des tiers seront, elles, possibles sur les comptes en e-euros.

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Les banques obligées de fournir des e-euros

Si un client le demande, sa banque devra lui fournir des e-euros. On peut toutefois court-circuiter les acteurs traditionnels de la finance : les États-membres devront effectivement désigner des organismes qui devront distribuer et ouvrir des comptes en e-euros (des autorités locales ? le bureau de poste ? à encore déterminer).

Même les plateformes de cryptomonnaie pourront distribuer des e-euros, du moins si elles sont reconnues dans l’État-membre concerné. Néanmoins, il est hors de question de laisser évoluer les e-euros comme les bitcoins qui, eux, sont devenus des actifs - pas très sûrs - pour investir.

Il y aura également une limite à la quantité d’e-euros qu’une personne peut détenir. Ce faisant, la Commission prévient une critique justifiée des banques commerciales qui verraient autant d’euros quitter les dépôts chez eux et qui ne peuvent être reprêtés pour faire tourner l’économie.

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Le paiement en e-euros sera gratuit

Si les paiements en e-euros seront gratuits pour les utilisateurs, il y aura des frais - fortement surveillés par la BCE - pour les commerçants. La Commission évoque deux seuils : le coût de la transaction technique avec une marge pour le fournisseur de service de paiement, et la comparaison avec les frais existants pour un service de paiement comparable.

Autre élément : aucun accès aux e-euros ne sera automatiquement possible depuis un pays hors de la zone euro. En effet, si c’est un pays qui se trouve en dehors de l'Union européenne, il faudra un accord international au préalable.

Notons qu'un État-membre qui n'est pas membre de l'eurozone devra faire une demande pour obtenir des e-euros. La raison est simple : la Commission craint un déséquilibre du bilan de la BCE car l’e-euro apparaîtra sans doute comme un poste séparé dans ce dernier.

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Pas question de marginaliser l'e-euro

Les performances devront se comparer sans rougir au cash : instantané. Seulement quelques secondes pour la transaction seront tolérées.

L‘utilisateur de l’e-euro peut choisir le compte en banque traditionnel qu’il veut lier à l’e-euro. On ne peut le lui imposer. L’utilisateur pourra choisir entre une interface e-euro proposé par la BCE ou par le fournisseur de service de paiement.

Il y aura aussi la possibilité de faire des paiements hors ligne de personne à personne sans passer par un réseau. Dans ce cas, le fournisseur de solutions de paiement n’aura accès qu’à l’identifiant de l’appareil pour finaliser le paiement, et non à l'identité de l'utilisateur et ce, uniquement pendant la durée du paiement. Les fabricants de smartphone devront donner accès à leur fonctionnalité sans contact (NFC – Near Field Communication) pour permettre les paiements en ligne et hors ligne en e-euro. Apple appréciera, lui qui réserve cette fonctionnalité à son seul Apple Pay...

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L’e-euro ne peut pas devenir une monnaie programmable qui perd de sa valeur et qui ne sert qu’à acheter certains biens ou services. Par contre, il peut servir à des paiements conditionnels. En outre, l’e-euro devra être compatible avec les autres solutions de paiement : pas question d’isoler l’e-euro et de le marginaliser (ce qui grèverait son futur succès avec le foisonnement des moyens de paiement).

La législation anti-blanchiment et anti-financement du terrorisme devra être adaptée à la nouvelle donne des e-euros, surtout les paiements hors ligne en e-euro. Ceci dit, la BCE et les fournisseurs de service de paiement n’auront pas accès au détail des transactions personnelles, uniquement les montants ajoutés ou enlevés. Ces données seront transmises aux autorités uniquement en cas de suspicion de blanchiment - ce qui est déjà mis en pratique.

Et en cas de problèmes, comme un paiement sans autorisation ? C'est la BCE qui est en charge des dossier de plaintes. Celles portant sur les fraudes auront trait aux situations de vol d’identité, de contrefaçon et de fraude sur l’identité des marchands.


Pour en savoir plus : Proposal for a REGULATION OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL.

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