Discrimination, pratiques déloyales, honoraires exorbitant... En matière fiscale, le libre accès à la justice est un leurre
Le principe de l’égalité des armes est lié à celui du libre accès à la justice : des droits illusoires pour la majorité des citoyens ? Une chronique signée Guy Kleynen, Docteur en droit.
- Publié le 08-09-2023 à 08h11
- Mis à jour le 08-09-2023 à 08h12
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Dans un État de droit, le principe de l’égalité des armes est étroitement lié à celui du libre accès à la justice, lequel est garanti notamment par la Convention européenne des droits de l’homme. Pourtant, spécialement en matière fiscale, plusieurs raisons font qu’il s’agit de droits illusoires pour la généralité des citoyens.
1. Les honoraires d’avocat alourdis par 21 % de TVA
Tout d’abord, exercer une action en justice implique, en principe, le recours à un avocat dont les honoraires sont souvent disproportionnés par rapport à l’enjeu du litige, en raison notamment de la complexité du droit fiscal, du caractère aléatoire de l’action en justice et de la longueur des procédures successives.
Et, surtout, à cela s’ajoute une hérésie : les honoraires sont aujourd’hui grevés d’une TVA de 21 % en faveur de l’État, ce qui aggrave le coût déjà exorbitant de l’accès à la justice des citoyens qui ne sont ni pro deo (aide à la justice pour les justiciables ayant des revenus modestes), ni assujettis à la TVA. Il en découle que le principe du libre accès à la justice est un leurre.
2. La discrimination en faveur des entreprises
La situation est différente pour les entreprises qui, d’un côté, sont confrontées à des litiges fiscaux portant sur des sommes souvent beaucoup plus importantes et qui, d’un autre côté, peuvent récupérer la TVA sur les honoraires des avocats, lesquels peuvent, au demeurant, être déduits en tant que frais généraux. Il en découle que l’assujettissement des avocats à la TVA a créé une rupture injustifiable de l’égalité de tous devant le libre accès à la justice.
3. Les pratiques déloyales de l’État
L’atteinte au principe du libre accès à la justice en matière fiscale est également renforcée par les pratiques déloyales auxquelles l’État n’hésite pas à recourir à des fins dilatoires dans les dossiers qui le dérangent. C’est en fait “le pot de terre contre le pot de fer”. Cela s’explique par le fait que, au contraire des citoyens qui sont des êtres mortels, l’État est une abstraction détachée des contraintes à la fois matérielles et temporelles. À cela s’ajoute l’esprit de soumission des contribuables et la complexité grandissante du droit fiscal qui devient de plus en plus incompréhensible pour le commun des mortels et même pour les spécialistes.
C’est ainsi que, par exemple, pendant des dizaines d’années, l’État a perçu impunément des impôts triplement illégaux sur les revenus théoriques qui découlent des secondes résidences à l’étranger. Tout d’abord, il y a eu, bien avant la réforme de 1962, la façon absurde dont l’administration calculait le forfait de 40 % pour frais d’entretien et de réparation en l’appliquant, en violation flagrante du prescrit légal, sur la valeur locative brute préalablement diminuée des impôts étrangers. Cela a, par exemple, pour effet de multiplier par 3 le revenu net d’un immeuble grevé d’un impôt local de 50 % (soit 100-50 = 50 – 20 = 30 à comparer à 100 – 40 -50 = 10).
Malgré la clarté du prescrit légal et le caractère manifeste de sa violation, il a fallu attendre près d’un siècle avant qu’un arrêt de cassation de septembre 2021 condamne ce système.

De même, malgré une triple condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), une autre illégalité, qui remonte à la réforme de 1962 et qui subsiste partiellement, concerne la façon dont l’administration continue à appliquer le système d’exonération avec réserve de progressivité aux revenus d’origine étrangère provenant de pays avec lesquels la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition. Ainsi, aujourd’hui encore, en violation notamment du droit européen, un revenu immobilier étranger prétendument exonéré de 1 000 euros (montant indexé) qui s’ajoute à une pension nette de seulement 18 300 euros entraîne un prélèvement supplémentaire hors additionnel de 38,75 % alors que le taux marginal de l’impôt est de 40 % dans la tranche d’imposition allant de 15 200 à 26 830 euros (montant indexé).
Enfin, il y a eu la discrimination découlant de la taxation de la valeur locative réelle des secondes résidences sises à l’étranger alors que celles sises en Belgique ne sont taxables qu’en raison de leur revenu cadastral. Bien que ce problème remonte lui aussi à la réforme de 1962, il a fallu attendre trois condamnations récentes de la CJUE (dont la dernière avec une condamnation à payer des astreintes) pour que l’État daigne modifier la loi en recourant à des critères qui n’ont malheureusement ni queue ni tête.
Au surplus, l’État continue à violer le principe de l’égalité de tous devant l’impôt dès lors que, au mépris du prescrit légal et du simple bon sens, il refuse aujourd’hui la déduction des impôts étrangers. Cela revient à taxer un revenu brut de 100 grevé d’un impôt étranger de 80, soit un “revenu net frontière” de 20, de la même façon qu’un revenu identique de 100 mais non imposé à l’étranger, donc 5 fois plus élevé !
Preuve que l’État est au-dessus des lois et que l’adage “errare humanum est, perseverare diabiolicum” (“l’erreur est humaine, mais persévérer est diabolique”) glisse sur la carapace de son indifférence !