Dans l'ombre de Twitter, WhatsApp et Facebook... Zoom sur les réseaux sociaux alternatifs
Excès de censure, conditions d'utilisation jugées excessives ou encore utilisation des données personnelles à des fins commerciales : les controverses autour des réseaux sociaux traditionnels se multiplient. Une aubaine pour certaines plate-formes montantes qui en profitent pour rafler de nouveaux adhérents. De Signal à Gab en passant par Vero, les candidats à la succession des géants de la tech se bousculent au portillon.
Publié le 15-01-2021 à 17h15 - Mis à jour le 15-02-2021 à 20h21
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Des concurrents aux réseaux sociaux conventionnels commencent à faire parler d'eux. Les controverses autour de WhatsApp et Twitter ont par exemple permis à des applications similaires d'enregistrer plusieurs millions de nouveaux utilisateurs. Si certaines sont prometteuses, d'autres sont plutôt sulfureuses. Tour d'horizon des ces applications méconnues qui tentent de se faire une place au soleil.
Derrière WhatsApp
Début janvier, la messagerie WhatsApp a mis à jour ses conditions d'utilisation. A partir du 8 février, davantage de données seront partagées avec sa maison-mère... Facebook. Si ce changement ne concernera à priori pas les utilisateurs européens, plusieurs millions se sont tournés vers des applications concurrentes, qui n'en demandaient pas tant.
Telegram

Fondée en 2013 par les frères (russes) Pavel (36 ans) et Nikolaï (40 ans) Dourov, Telegram est une société allemande de messagerie instantanée cryptée. Réputée pour son chiffrement, l'application s'est construite une solide réputation grâce à la sécurité déployée puisque chaque discussion est complètement privée. Les créateurs de l’application, les frères Durov, sont également connus pour être les fondateurs de VKontakte, le Facebook russe.
La messagerie sécurisée approche aujourd'hui les 500 millions d'utilisateurs, profitant de la baisse de popularité de WhatsApp à la suite de l'annonce du partage de ses données avec la maison-mère Facebook. En trois jours, 25 millions d'internautes en plus se sont inscrits, essentiellement en Asie (38 %), Europe (27 %) et Amérique du Sud (21 %). Une petite portion arrive aussi du Moyen-Orient et du Maghreb (8 %).

Les nouvelles conditions d’utilisation de Whatsapp profite à Telegram qui se place comme l’alternative sûre en matière de protection des données. "Les gens ne veulent plus échanger leur vie privée contre des services gratuits. Ils ne veulent plus être pris en otage par des monopoles technologiques", a précisé Pavel Durov. L’entreprise est effectivement connue pour ne partager aucune donnée personnelle de ses utilisateurs avec les gouvernements. Cette politique de confidentialité à toute épreuve lui a d’ailleurs valu une polémique en 2015, année des attentats de Paris. La société avait refusé de partager les échanges entre utilisateurs même si ceux-ci étaient soupçonnés d’appartenir à un groupe de djihadistes. Entre-temps, l'entreprise a tout de même désactivé des comptes liés à des activités terroristes sur demande de la communauté des utilisateurs de Telegram qui a initié le mouvement en signalant ces comptes.
Jusque-là, Telegram était entièrement financé par la fortune personnelle des Durov. Cependant, le benjamin de la fratrie a annoncé que la messagerie allait lancer des services payants à partir de 2021 pour financer sa croissance, après l'échec de sa levée de fonds et de son projet de monnaie virtuelle.
Signal

Signal est une autre application de messagerie instantanée qui a profité de la polémique Whatsapp, si bien que l'afflux de nouvelles connexions a provoqué certains problèmes techniques entre le 7 et le 8 janvier . "Les codes de vérification sont actuellement retardés (...) parce que beaucoup de nouvelles personnes tentent de rejoindre Signal actuellement", avait expliqué l'entreprise.
Lancée en 2014, l'application américaine est considérée par les spécialistes comme l'une des applications de messagerie les plus sécurisées du marché grâce notamment à sa capacité de chiffrer "de bout en bout" messages ou appels audios et vidéos.
Son fondateur est connu sous le pseudonyme Moxie Marlinspike. Celui-ci est très discret, peu d'informations ont été vérifiées à son sujet. Le jeune geek a développé des applications pour protéger les discussions vocales (RedPhone) et une autre pour les messages écrits (TextSecure). Deux applications qui finiront par fusionner sous le nom de Signal.
Signal a pu compter sur le soutien de nombreuses personnalités comme Edward Snowden, lanceur d'alerte connu pour avoir dénoncé l’espionnage des conversations en ligne mené par les services secrets américains. Invité sur France Inter, il confie utiliser Signal tous les jours. "N'importe lequel de ces programmes vaut mieux que des SMS ou des téléphones sans codage [...] N'utilisez pas WhatsApp ou Telegram, à moins de ne pas avoir d'alternative. Vous devriez plutôt utiliser Signal ou l'application Wire. Elles sont disponibles gratuitement."
Elon Musk a également conseillé d'utiliser Signal, dans un tweet daté du 7 janvier 2021.
Depuis février 2020, même la Commission européenne recommande l'utilisation de Signal à son personnel pour la communication avec les personnes extérieures à l'institution.
Derrière Twitter
Les substituts potentiels de Twitter, surtout sur le marché américain, ont une réputation pour le moins sulfureuse. Parler et Gab ont toutes les deux déjà fait l'objet de suspensions et sont cataloguées comme des refuges pour les mouvements conservateurs, d’extrême droite ou encore suprémacistes.
Parler

Réseau social encore très jeune, Parler a vu le jour en 2018. Il a été créé par John Matze (son CEO actuel) et Jared Thomson. Leur objectif était de préserver la liberté d’expression, eux qui étaient “épuisés par le manque de transparence des entreprises de la tech, par la répression idéologique et les abus liés à la vie privée”, indiquaient-ils sur le site officiel de l’application.
Le réseau a commencé à décoller en juin 2020, lors des premiers avertissements de Twitter envers Donald Trump. Le nombre d’utilisateurs a ensuite crevé le plafond après l’élection de Joe Biden et la défaite de l’ancien président, passant à la mi-novembre de 4,5 à 10 millions d’utilisateurs.
Très peu de restrictions sont imposées, si ce n’est sur les activités criminelles, la pornographie, le terrorirsme, les violations liées à la propriété ou encore les spams. Les utilisateurs publient des “Parleys”, dans un fonctionnement proche de Twitter.
De nombreuses personnalités conservatrices (sénateurs, présentateurs, animateurs, etc.) ont encouragé leurs followers à les rejoindre sur Parler. Quant aux groupuscules d’extrême droite ou aux complotistes, censurés sur les réseaux traditionnels, ils ont pu y trouver refuge.

Des experts ont indiqué que le laxisme dans la modération des contenus conduisait à la multiplication des contenus erronés ou orientés, notamment au sujet des élections américaines. “Nous sommes très strictes vis-à-vis de la pornographie et de la nudité. Mais si certaines personnes ont des divergences d’opinion, ce n’est pas à nous de venir jouer le rôle de médiateur et de modérateur”, précisait encore John Matze.
Mais depuis le 10 janvier, l’application n’est plus accessible. Son hébergeur, à savoir Amazon, l’a en effet débranchée de ses serveurs. Une décision qui faisait suite à celle de Google et d’Apple, qui avaient supprimé l’application de leur Store. Elles soulignaient une politique de modération trop laxiste : incitations à la haine, à la violence, et à des actions anarchiques (notamment liées à l’invasion du capitole).
Le CEO de Parler dénonçait “une attaque coordonnée des géants de la tech pour étouffer la concurrence.” Actuellement, l’application est toujours hors ligne. Un journaliste américain a cependant tenté l’expérience Parler fin novembre, et livre ses impressions.
Gab

La plate-forme a été créée en 2016 par Andrew Torba. Ce Texan, républicain conservateur, se définit sur son profil Gab comme "un chrétien, un mari et un patriote américain".
Il est loin d'être étranger au milieu des réseaux sociaux. En 2014, il déménage... dans la Sillicon Valley, où sa start-up Kuhcoon est jugée prometteuse. Deux ans plus tard, il décide de créer son propre réseau social et tacle au passage les plate-formes conventionnelles. “Les médias et les réseaux sociaux traditionnels sont gérés et contrôlés par des leaders et des travailleurs progressistes de la Sillicon Valley”, avait-il déclaré.
Le réseau social se présente comme un défenseur de la liberté d’expression. Son slogan "Make Speech Free Again" n'est sans rappeler celui d'un certain président. Les seules règles étant l’interdiction de publier des contenus pornographiques, violents ou encore des données sensibles.
Dans la pratique, Gab propose une interface mêlant diverses caractéristiques similaires à celles de Twitter ou Facebook, mais teintée de vert. Un fil d'actualité propose les statuts de divers utilisateurs, avec la possibilité de liker et partager les contenus.
Le réseau social est considéré par beaucoup comme un refuge pour les partisans de Donald Trump, et pour les personnes ayant une idéologie (d'extrême) droite. Un sentiment qui s'impose rapidement au visiteur lambda tant les contenus présents sur la page d'accueil sont équivoques : complot démocrate, soutiens à Donald Trump ou encore citations bibliques sont ainsi entremêlées.




Durant ses cinq années d'existence, le réseau social Gab a déjà eu l'occasion de faire parler de lui. En 2016, peu après sa création, son hébergeur et son fournisseur de domaine l'abandonnent : le responsable d'une fusillade dans une synagogue de Pittsbrugh, qui coûtera la vie à 11 personnes, avait posté plusieurs contenus sensibles sur le réseau social. Gab les avait d’ailleurs retirés quelques heures plus tard.
Le 10 janvier, Gab.com (très actif) tweetait ceci : “Gab a enregistré plus de nouveaux utilisateurs en deux jours que durant ses deux premières années. Dans peu de temps, Gab dépassera l’héritage de tous les autres médias combinés.”
Gab a été banni par 25 fournisseurs de services, dont l’AppStore et le Play Store.
Derrière Facebook
Vero

Le réseau social Vero, de son nom complet “Vero - True Social”, a été créé en août 2015 par la start-up Vero Labs, Inc. Son fondateur, le milliardaire Ayman Rafic Hariri, est l’ancien PDG de la société de BTP saoudienne Saudi Oger, et le fils de l’ex premier ministre libanais Rafiq al-Hariri.
Vero est complété du slogan “True Social”, qui insiste sur le fait qu’il ne contient pas de publicité, sauf en provenance d’entités auxquelles l’utilisateur s’est abonné volontairement. Ainsi, les plus de trois millions d’utilisateurs du réseau social ne voient que les contributions des auteurs avec lesquels ils sont effectivement en lien, et ce dans une cohérence chronologique.
Initialement, le réseau entièrement financé par son fondateur devait récupérer de l’argent grâce à un système d’abonnement. Mais depuis mars 2018, Vero est totalement gratuit. La plateforme trouve à présent une partie de ses revenus dans des taxes sur les produits achetés par les internautes et dénichés sur la plateforme.
Depuis sa création, Vero a déjà fait l’objet de multiples controverses. D’abord, son fondateur, le milliardaire Ayman Hariri, dirigeait l'entreprise de construction Saudi Oger, qui a fait faillite en 2016 après que des milliers d'employés n'aient pas été payés pendant plusieurs mois. L’entrepreneur est également le fils de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq al-Hariri, assassiné en 2005 à la suite de diverses affaires de corruption. Aujourd’hui, c’est l’oncle de Ayman Hariri, Saad Hariri, qui occupe le poste. Une réputation familiale lourde, qui pèse indirectement sur l’image du réseau social Vero.

En outre, beaucoup soupçonnent que l’application a été mise sur le devant de la scène de manière artificielle, notamment en 2018 où elle a bondit de 150 000 à 3 000 000 d’utilisateurs. De nombreux influenceurs auraient été payés pour rendre l’application plus tendance.
De plus, l'équipe de développement de l’application est russe. Des doutes ont ainsi été émis quant à l’intégrité de Vero, au vu de l’historique du gouvernement russe vis-à-vis des réseaux sociaux.
Par ailleurs, Vero ne fonctionne que si l'utilisateur saisit son numéro de téléphone. Pour des raisons qui restent floues, les usagers doivent ainsi divulguer une information confidentielle.
Certains adeptes du réseau se sont également plaints d’avoir des difficultés à supprimer leurs comptes. Une option réelle, mais très bien dissimulée...
Finalement, l'application séduit par un design sobre, un fonctionnement intuitif et l’absence de publicité intempestive. Mais visée par de nombreuses controverses, elle n’est pas encore le choix évident.
De quoi faire trembler les titans de la tech ?
Ces cinq plate-formes ne sont qu'un échantillon des nombreuses applications disponibles. Certaines comme Viber (plus d'un milliard d'utilisateurs) vivent déjà depuis plusieurs années aux côtés des GAFAM et de leurs multiples extensions. Une chose est sûre, le monde des réseaux sociaux traverse actuellement une zone de fortes turbulences. Si certains acteurs vont tenter de tirer leur épingle du jeu dans les semaines et les mois à venir, difficile de savoir s'ils seront en mesure de venir ébranler l'hégémonie du duo formé par Facebook (propriétaire d'Instagram et WhatsApp) et Twitter.
Il existe aussi des réseaux sociaux développés par des communautés qui soutiennent les logiciels dits "libre". C'est le cas de Mobilizon pour gérer des événements et des groupes comme dans Facebook ou Framapiaf comparable à Twitter.