Mieke De Ketelaere, "Madame IA" en Belgique: "L’adoption de l’intelligence artificielle nécessite d’avoir un langage commun"
Pour Mieke De Ketelaere, directrice du programme IA à l'institut de recherche flamand Imec, l’intelligence artificielle doit être l’affaire de tous.
Publié le 18-03-2021 à 08h09 - Mis à jour le 20-05-2021 à 10h49
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Nathanaël Ackerman, à qui on doit l’organisation de la première “Semaine belge de l’intelligence artificielle” (du 15 au 19 mars), dit de Mieke De Ketelaere qu’elle est la “Madame IA” en Belgique. Ce jeudi, celle qui dirige la stratégie IA de l’Imec (Institut de recherche flamand en microélectronique et nanotechnologies), donnera une keynote sur les facteurs de réussite de l’intelligence artificielle (IA). Elle a accepté de livrer à La Libre la teneur de son intervention (1).
Alors que l’IA est née il y a déjà plus d’un demi-siècle (avec des hauts et des bas en termes d’avancées), Mieke De Ketelaere note que le taux d’adoption (citoyens, entrepreneurs, etc.) de l’IA demeure, en 2021, sous la barre des 20 % dans un pays dit “avancé” comme la Belgique. Par ailleurs, malgré les initiatives apparues ces deux dernières années (comme la coalition AI4Belgium et les différents plans régionaux), l’écosystème belge de l’IA lui paraît encore trop fragmenté. “Nos voisins (Allemagne, France et Pays-Bas) sont beaucoup plus avancés, souligne-t-elle. En raison d’une fragmentation des budgets et des initiatives, la Belgique n’a pas le poids qu’elle pourrait avoir si on travaillait davantage ensemble”.
"On a besoin de traducteurs de l'IA"
Mieke De Ketelaere est toutefois une femme volontariste et optimiste. Dans un livre paru récemment en néerlandais (la version française sortira en mai sous le titre “Homme versus machine. L’intelligence artificielle démystifiée”), la directrice IA de l’Imec défend la nécessité de trouver un langage commun, compréhensible de tous, pour mettre en avant les opportunités qu’offre l’IA, mais aussi les dangers. “On a besoin de traducteurs de l’IA, c’est-à-dire des personnes qui sont capables de se faire comprendre. Avec les avancées rapides de l’IA ces dix dernières années, on a oublié de traduire ce qu’est cette technologie et ce qu’on peut en faire dans le monde réel. Tout le monde travaille dans son coin et les gens se parlent peu entre eux”.
Le fait que les citoyens, mais aussi les entreprises et les autorités publiques, n’adoptent pas encore massivement l’IA tient à un manque de compréhension et d’explication de ce qu’elle est et de ce qu’elle n’est pas, expose Mieke De Ketelaere. “C’est pourtant essentiel si on veut rassurer le public. Prenons le cas d’un médecin qui utilise une solution d’IA capable, de façon autonome, de l’aider à faire un diagnostic et à proposer un traitement. Si ce médecin ne comprend pas comment l’algorithme fonctionne, il n’aura pas confiance. Aujourd’hui, pour beaucoup de personnes, les algorithmes d’IA sont des boîtes noires. À l’Imec, l’un des axes de recherche consiste d’ailleurs à ouvrir ces boîtes noires afin de mieux comprendre comment se passent les processus de décision algorithmique”.
Pour une approche collaborative et multidisciplinaire
Au sein même de l’écosystème belge de l’IA et des personnes qui le composent (académiques, chercheurs, industriels, entrepreneurs, etc.), Mieke De Ketelaere plaide pour une approche plus collaborative et multidisciplinaire. “C’est bien d’avoir des experts dans différents domaines de l’IA. Mais si on veut bâtir un écosystème robuste et trouver un langage commun compréhensible du plus grand nombre, il est essentiel d’impliquer aussi, selon la nature des projets, des psychologues, des sociologues, des juristes, des industriels,… Les citoyens eux-mêmes doivent avoir leur mot à dire”.
Une plus forte adhésion à l’IA passera aussi, conclut Mieke De Ketelaere, par la création d’un cadre régulatoire de confiance, à l’image de ce qui a été mis en place en Europe pour la protection des données privées (RGPD). “Dans les années 1950, raconte-t-elle, on a commencé à voir, en Belgique, des voitures sur les autoroutes alors qu’il n’y avait pas encore de permis de conduire, de code de la route,… Les gens prenaient leur voiture et roulaient aussi vite que possible sur les autoroutes pour aller à la mer. Avec les algorithmes d’IA, on se trouve aujourd’hui au même stade. Il n’y a pas de règles. C’est aux autorités politiques d’en prévoir. Avec, pour objectif, de permettre d’embrasser les innovations technologiques, mais aussi d’en limiter les dérives”.
(1) À suivre, gratuitement, via https://aiweek.ai4belgium.be/fr/
À la tête d’une “machine de guerre”
Mieke De Ketelaere fait partie des femmes, trop rares en Belgique, qui brillent dans le monde des nouvelles technologies. Diplômée en robotique et en intelligence artificielle, cette Gantoise “exilée” en Wallonie a fait la première partie de son parcours professionnel dans le monde de l’informatique, de l’Internet et de l’analyse de données (IBM, Microsoft, SAP, SAS,…). Il a fallu attendre 2010 pour que les mondes de l’Internet et de l’IA convergent, ce qui lui a permis de renouer sa passion pour les algorithmes. En mai 2019, elle est devenue “Program Director Artificial Intelligence” au sein de l’Imec, centre de recherche flamand de réputation mondiale. Sur les 4 300 personnes actives à l’Imec, entre 500 et 650 chercheurs sont concernés par l’IA. Une véritable “machine de guerre”… humaine !