NFT et cryptos : pure spéculation ou réelle révolution ?
Derrière la volatilité provoquée par la spéculation, les cryptomonnaies et cryptoactifs comme les NFT cachent une potentielle révolution. Mais entre "crypto-fans" et sceptiques indécrottables, y a-t-il un juste milieu ? Et que risquent les banques et autres plateformes privées ?
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- Publié le 01-04-2022 à 14h02
- Mis à jour le 27-04-2022 à 09h29
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"J'ai quelques NFT… pour l'équivalent d'une centaine d'euros… mais les prix vont grimper. Certains NFT qui valaient 10 euros en valent déjà des milliers… ", me glissait un déménageur récemment, à bord de sa camionnette. Ça sent le bon plan. Et ce n'est pas le premier qui m'en parle. Beaucoup de monde s'y intéresse ces dernières années. Mais comme dans tout bon plan, mieux vaut parfois se méfier. Et au fond, revenons aux bases, qu'est-ce que les NFT ?
Une révolution…
Un NFT, ou Non fongible token , est un jeton cryptographique permettant d'authentifier un objet numérique grâce à la blockchain. C'est comme une cryptomonnaie mais sans viser la volonté d'être une devise. Là où un bitcoin en vaut un autre par exemple, un NFT est unique et n'en vaut pas un autre. Mais c'est une face de la même pièce qu'est la blockchain.
Sans répéter ici tous les aspects techniques de la blockchain, rappelons que celle-ci permet, par exemple, d’inscrire des transactions dans un seul et même registre que l’ensemble des appareils connectés au réseau vérifieront et donc authentifieront. C’est cela, la "révolution blockchain" : tous les échanges peuvent être vérifiés et cela sans passer par un intermédiaire ou une entité centrale, comme une banque. De plus, pirater une transaction nécessiterait de devoir pirater au moins 51 % des appareils ayant une copie de la transaction dans leur registre pour qu’une opération soit validée par l’ensemble et reconnue, vérifiée. Techniquement comme énergétiquement, c’est complexe et non rentable. C’est ce qui rend la blockchain sûre, théoriquement quasiment inviolable. C’est aussi pour cela que les banques classiques se méfient des cryptomonnaies, car si elles devaient vraiment devenir la révolution que les plus convaincus vantent, le rôle des banques serait remis en question.
… ou une arnaque ?
Revenons aux NFT. Ceux-ci permettent donc de créer des objets virtuels uniques, dans un monde où la copie numérique est reine, où toute donnée échangée est "clonée" d’un point A à un point B, d’un serveur à un appareil particulier. Avec les NFT, chaque objet et chacun de ses transferts seront inscrits dans la blockchain (en particulier celle de l’ethereum dont sont issus une grande majorité des NFT actuels) et seront donc uniques, même si virtuels. Et qui dit unique dit rareté, valeur et engouement.
Et à l'instar de la ruée vers l'or, on assiste depuis quelque temps à une ruée vers les NFT, en particulier les NFT "artistiques" qui s'échangent pour des milliers, voire des millions de dollars. Comme souvent dans les débuts d'un système, d'une nouveauté, la spéculation attire, affole et parfois pervertit. Mais si la plupart des "cryptoconvaincus", des believers ou "prêcheurs" de la blockchain renâclent à l'idée de spéculation et affirment la rejeter en bloc, il faut avouer que beaucoup se sont d'abord intéressés aux cryptoactifs en espérant trouver un rendement exceptionnel.
À cause de cette spéculation, beaucoup misent sur des NFT dans l’espoir de faire le bon investissement, le bon pari, peu leur importe la "révolution blockchain" qui, de son côté, bouscule la création de valeur, révolutionne les échanges. Il est donc à parier qu’à terme, certains NFT, dont le prix aura gonflé telle une bulle, verront leur valeur chuter si l’affolement s’apaise. Et comme les vendeurs de pelles et de sceaux lors de la ruée vers l’or, ce sont les gestionnaires de plateformes d’échanges qui seront les vrais gagnants dans l’histoire.

Quelle autre utilité ?
Au-delà des NFT "artistiques", ces jetons uniques pourraient également certifier un achat, un accès, une participation à un événement. Ils pourraient même révolutionner le mode de scrutin. Prenons l’exemple des élections présidentielles en France, qui vont se dérouler dans quelques jours : malgré la Covid-19, les électeurs, même infectés, sont invités à se rendre dans les bureaux de vote. Pourquoi ? Car il n’y a pas de système électronique non centralisé et non piratable permettant d’être sûr à 100 % que le vote n’est pas manipulé. Avec la blockchain et un jeton unique, on pourrait imaginer un scrutin dont la falsification ou la manipulation serait quasiment impossible. Donc, chaque vote via un NFT serait vérifié par l’ensemble des votants et cela à distance, sans risque d’infection dans un bureau de vote. Et, mieux, sans déplacements motorisés, donc avec un poids environnemental réduit, même si la blockchain est critiquée pour son aspect énergivore. Reste néanmoins la question de l’anonymat d’un tel système…
Les NFT pourraient se décliner sous de multiples formes. D'ailleurs, des NFT certifiant l'accès à des événements, en réel ou dans le métavers, suscitent déjà l'intérêt. Que ce soit pour dire : " J'y étais " ou " Je soutiens la cause ", comme certains acquéreurs d'œuvres NFT le font pour soutenir les artistes directement… mais que d'autres font par pur snobisme.
"C’est une révolution inouïe dont l’Europe a dû mal à évaluer la portée"
Si Google, Facebook ou même les États s’intéressent aux cryptomonnaies et autres NFT, c’est parce qu’ils représentent une réelle évolution dans les échanges en ligne et la création de valeur.
On pourrait voir dans les NFT un summum du capitalisme, où de la valeur est créée sur du virtuel, éloignée de la "preuve de travail", à l'instar de ce que fait la spéculation sur des œuvres d'art contemporaines. Mais on peut donc aussi le voir comme un tournant incontournable du web. Après la création de l'Internet 1.0, le web 2.0 avec l'émergence des plateformes trustées par les Gafam, le web 3.0 pourrait remettre le pouvoir entre les mains des particuliers qui seraient détenteurs de cryptoactifs ou tout simplement de leurs données privées, qui ne seraient plus hébergées par des plateformes ou des entreprises qui en tirent bénéfice. C'est justement l'objectif visé par les pionniers de ces cryptoactifs, que l'on appelle Cypherpunks , ou de Satoshi Nakamoto, l'entité anonyme derrière la création du bitcoin.
"La spéculation et la volatilité ne m'intéressent pas du tout ; je ne suis pas là pour me faire de l'argent mais mettre ma crédibilité au service de ce système monétaire qui nous est proposé ", lâche d'ailleurs Christophe De Beukelaer, député bruxellois, en marge d'une conférence sur la blockchain qu'il organisait récemment avec Raoul Ullens, associé chez NOIA Capital.
"Les plateformes crypto actuelles pourraient devenir les grandes banques de demain. Car les banques actuelles sont, dans un sens, archaïques et incapables de saisir la révolution numérique ", renchérit à son tour Yorick de Mombynes, haut fonctionnaire français clairement convaincu par les cryptos. Une conviction proche de la profession de foi même.
"C'est une révolution inouïe dont l'Europe a du mal à évaluer la portée. Nous sommes en train de refaire ce que nous avons fait avec le web: imposer une réglementation inadaptée qui freine l'innovation… et dans 20 ans nous pleurnicherons car les géants de cette nouvelle industrie seront américains et asiatiques, et nous voudrons les taxer davantage... alors que aurons empêché leur émergence chez nous ", ajoute-t-il, assurant que la volatilité extrême actuelle des cryptomonnaies n'est que transitoire.
Du côté fédéral, le secrétaire d'État à la Digitalisation, Mathieu Michel, dit suivre le sujet de près. " Le web 3.0, c'est le web décentralisé, qui ne passe pas par les plateformes ", glisse-t-il. " Un régulateur, comme moi, essaie d'identifier les éléments vertueux et ceux qui ne le sont pas. Les NFT permettent d'acheter de l'art digital qui va prendre de la valeur ou non, et rétribuer directement des artistes, sans passer par des galeries d'art. Ce n'est pas blanc ou noir. Il y a une diversité d'applications énorme. Cela permet d'échanger de la valeur et pas uniquement des copies ", commente-t-il. " Mais tout ce qui est nouveau et donne la sensation d'accéder à un gain facile est attractif et peut être aussi dangereux. Je pense qu'une partie des NFT vont rester de façon durable et leur valeur aussi ; par contre une grande partie des NFT verront leur valeur diminuer. Il y aura des bulles. On le voit avec les Bored Ape : certains valent déjà des centaines de milliers d'euros, c'est presque devenu un phénomène pop culture, mis à côté de cela, il y a plein de NFT dont la valeur a été divisée ", ajoute-t-il.
"C'est comme être propriétaire de la Joconde… ou avoir un poster dans ses toilettes… Globalement, tu es propriétaire d'un désir. On n'a pas attendu le monde des cryptos et des NFT pour acheter du désir qui n'était pas en corrélation avec la valeur des choses. Les NFT, ça nous renvoie peut-être à un travers de l'humanité qui est de vouloir posséder des choses ", termine-t-il.