Les détenteurs de cryptomonnaies sont-ils tous des blanchisseurs en puissance ?
Les cryptomonnaies sont souvent utilisées par les criminels pour blanchir le produit du trafic de stupéfiants. Une analyse de Pauline Maufort et Sabrina Scarnà, avocates fiscalistes chez Tetra Law.
Publié le 02-06-2022 à 14h16 - Mis à jour le 06-06-2022 à 14h22
Celui qui aura tenté de rapatrier des fonds depuis un compte étranger sur son compte belge, procédé à des dépôts en espèces ou effectué une transaction financière importante sait que la législation relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme est appliquée de manière très stricte par les institutions financières belges.
1. Qu’est-ce que le blanchiment de capitaux ?
De manière synthétique, le blanchiment de capitaux consiste à manipuler des avoirs acquis de manière illicite (le produit d’une infraction) afin d’en dissimuler l’origine et finalement, de les réintégrer dans l’économie réelle.
2. Qu’est-ce que la loi préventive du blanchiment ?
La législation préventive du blanchiment vise à imposer aux entités qui y sont assujetties (les banques, les compagnies d’assurance, mais également les agents immobiliers, notaires, comptables, etc.) de signaler à l’autorité compétente (la Cellule de traitement des informations financières, la Ctif) les opérations financières dans lesquelles elles interviennent et qui font naître dans leur chef un soupçon de blanchiment.
Le système préventif se fonde sur une approche basée sur les risques, laquelle nécessite une évaluation à deux niveaux : d’abord, une évaluation au niveau global de l’assujetti qui doit pouvoir identifier, en fonction de ses activités, les risques auxquels il est exposé ; et ensuite, une évaluation individuelle de chaque client qui permet d’attribuer un profil de risque et, sur cette base, de correctement surveiller avec la “vigilance” adéquate la relation et les opérations effectuées.
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Selon le profil assigné (faible, moyen ou élevé), différents niveaux de règles de vigilance s’appliquent, lesquelles se déclinent en plusieurs obligations : identification et vérification de l’identité des clients, mandataires et bénéficiaires effectifs ; conservation des documents relatifs à l’identification et aux opérations effectuées ; exercice d’une vigilance constante à l’égard des relations d’affaires avec les clients et des transactions conclues. Cela peut impliquer d’investiguer sur l’origine des fonds ; porter une attention particulière et analyser les opérations atypiques des clients afin de déterminer si elles font naître un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ; le cas échéant, faire une déclaration de soupçon à la Ctif.
Dans ce cadre, les institutions financières appelées à recevoir les fonds auparavant investis en cryptomonnaies sont particulièrement inquiètes. Certaines refusent d’ailleurs automatiquement de recevoir ces fonds considérant le risque trop important.

3. À juste titre ?
Il est un fait que l’utilisation des cryptomonnaies est associée à des risques accrus de blanchiment. Cela tient, d’abord, à l’anonymat qui les caractérise mais, également, à leur aspect international. En résumé, les cryptomonnaies sont utilisables partout, tout le temps (et rapidement), par tout le monde, sans nécessairement devoir fournir son identité même pour des transferts internationaux impliquant des Etats qui ne disposent pas d’une législation efficace en matière de prévention du blanchiment et du financement du terrorisme : une aubaine pour les criminels. Ainsi, la Ctif confirme dans son dernier rapport annuel que les cryptomonnaies sont vraisemblablement utilisées par les criminels pour, notamment, blanchir le produit du trafic de stupéfiants ou d’escroqueries.
D’un autre côté, les cryptomonnaies sont également vecteur d’innovation et leur utilisation n’est, en Belgique du moins, pas illégale. Il faut en outre constater que le recours aux cryptomonnaies se généralise et que de plus en plus de citoyens s’y intéressent sans, évidemment, que ces fonds ne soient entachés d’une quelconque illicéité.
4. Évolution de la règlementation
Depuis une loi du 20 juillet 2020, les prestataires de services de portefeuille de conservations et les plateformes d’échange de monnaie virtuelle en monnaie légale sont assujettis à la loi anti-blanchiment. Depuis 2022, les automates bancaires (ATM) installés sur le sol belge qui permettent ledit échange le sont aussi. Cela signifie que toutes les obligations prévues par le dispositif préventif, notamment l’obligation d’identification du client et de surveillance des opérations, s’appliquent à ceux-ci.
Ce nouvel assujettissement va permettre de mieux contrôler le risque lié aux cryptomonnaies et, dans une certaine mesure, de rassurer les banques qui seraient appelées à recevoir les gains réalisés.
Que faire si vous avez des cryptomonnaies que vous souhaitez vendre afin d’en transférer le produit sur votre compte bancaire ? Veillez à documenter avant de faire verser les sommes sur votre compte : fournissez à la banque les extraits de compte permettant de justifier l’origine des fonds ainsi que la preuve de l’acquisition des cryptomonnaies et les éventuelles transactions effectuées.
Il faudra pouvoir écarter le risque de blanchiment et donc étayer le lien entre les cryptomonnaies et des avoirs légitimes.