Après les éoliennes, les data centers vont-ils devenir le nouvel ennemi des riverains ? “L’autoroute fait plus de bruit que nos installations”
La numérisation fulgurante de nos sociétés augmente considérablement les besoins en centres de données. Mais à l’instar des éoliennes, les citoyens sont-ils prêts à les accueillir près de chez eux ?
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/19881f36-a9e4-4c88-8657-edde1e291d9e.png)
Publié le 24-05-2023 à 08h14
:focal(2259x1513:2269x1503)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/YF56UVC75ZFIBAZGKO6XMDQGUY.jpg)
On y croise presqu’autant de data centers que de maisons, à tel point que le Washington Post n’hésite pas à décrire l’endroit comme “le cœur d’Internet” : bienvenue en Virginie du Nord. Dans cette région des États-Unis, les centres de données poussent comme des champignons. On en dénombre près de 275, de quoi gérer “au moins un tiers du trafic mondial”, souligne Antonio Olivo, l’auteur du reportage.
Une concentration qui n’est pas forcément au goût des riverains locaux, pour qui le quotidien est devenu un véritable enfer. Plusieurs d’entre eux témoignent du vacarme causé par les milliers de ventilateurs qui refroidissent en permanence les installations, forçant certains à dormir dans leur sous-sol plutôt que dans leur chambre… Car aucune distance minimum n’est imposée, et les bâtiments viennent border les jardins des riverains qui peuvent deviner au bruit des ventilateurs les pics d’utilisation d’internet, ironise l’un d’entre eux.
Un centre n’est pas l’autre
Qu’en est-il chez nous ? Les Belges pourraient-ils également voir un centre de données sortir de terre à une trentaine de mètres de leur logement ?
Au niveau légal, rien n’empêche en tout cas la construction de data centers aux abords des habitations. “À notre connaissance, il n’existe pas de conditions sectorielles relatives aux data centers”, précise le cabinet du ministre wallon de l’Économie et de l’Urbanisme Willy Borsus (MR). “Il y a bien entendu un ensemble d’installations techniques qui relèvent du permis d’environnement, comme toute activité industrielle”, comme les citernes, transformateurs et autres groupes de refroidissement.
Pour Nicolas Coppée, data center manager pour LCL Wallonia One à Gembloux, il ne faut toutefois pas mettre tous les centres dans le même panier. Il existe en effet une différence entre les centres XXL des géants comme Microsoft, Amazon et compagnie, les data centers propres à une entreprise et qui lui permettent de gérer sa propre activité, et enfin les “colocations, comme ce que propose LCL, et qui permettent à des entreprises et PME de mutualiser les infrastructures”, détaille-t-il.
”L’autoroute à proximité fait plus de bruit”
Autant dire que la situation de la Virginie du Nord ne peut pas être simplement transposée à la Belgique. “Les data centers américains sont d’une telle taille qu’ils nécessitent des centrales de traitement d’air et de refroidissement très importantes”, et sont d’un tout autre gabarit que les installations belges.

”Je vous invite à venir visiter notre data center de Gembloux. L’autoroute qui se situe à côté fait plus de bruit que nos centrales de traitement d’air extérieures. Le bruit, c’est pour moi un faux procès. Pour implanter notre data center dans le parc économique de Gembloux, nous avons dû réaliser une étude acoustique, et elle n’a rien révélé de problématique”, continue-t-il. “Le seul inconvénient qu’il pourrait y avoir pour des riverains, c’est lors des tests des groupes de secours. Nous devons régulièrement les tester pour vérifier qu’ils sont performants et qu’aucune panne ou latence ne survienne en cas de besoin. Ces groupes de secours tournent avec des moteurs au diesel, donc oui, il est clair qu’ils font du bruit au démarrage. Mais on ne parle ici que de quelques heures par mois. Dans les faits, depuis 2015, ils n’ont démarré qu’une seule fois à la suite d’une coupure de courant généralisée : le phénomène est très marginal.”
La meilleure localisation ? Celle qui n’est pas connue
Les nuisances seraient donc moindres, mais serait-il possible de voir un data center surgir au bout de votre jardin ? “Il y a plusieurs normes de sécurité, et la première, c’est d’éviter de révéler où se trouve le data center. Même si bien souvent, leur localisation finit par se savoir”, glisse Nicolas Coppée. “Mais installer un data center en pleine ville peut être une solution.”
La localisation idéale va devoir cocher plusieurs cases, notamment au niveau de la sécurité (inondations, incendies, séismes, etc.), mais pas seulement. “Il y a aussi le climat : un data center à Marseille sera bien plus difficile à refroidir qu’un data center en Irlande. Le pays est d’ailleurs l’un des gros nœuds internet dans le monde car c’est une région froide, mais également pour des raisons fiscales”, détaille notre interlocuteur. “Il faut aussi prendre en compte l’alimentation électrique. Par exemple, Facebook souhaitait construire un data center aux Pays-Bas. L’installation avait besoin de la puissance électrique d’un réacteur nucléaire d’un gigawatt. Il faut donc que le pays d’accueil puisse fournir cette puissance. Puis il y a aussi la connectivité : si vous construisez votre data center au milieu de nulle part, le temps de latence (temps entre l’envoi de l’information et sa réception par le consommateur, NdlR) va être plus important.”
Pour cette dernière raison plusieurs grandes villes comme Francfort, Londres, Paris ou encore Amsterdam accueillent de nombreux centres de données. “Mais ces villes commencent à saturer”, reprend Nicolas Coppée. “Et elles commencent également à prendre en compte le fait que les data centers pompent beaucoup de puissance électrique, mais ne créent en revanche pas beaucoup d’emplois. Certes, il va nécessiter pas mal de main-d’œuvre pour la phase de construction, mais beaucoup moins pour sa gestion une fois construit.”
Une nouvelle génération de data centers à venir ?
Mais alors, finalement, quel intérêt pour une commune d’accueillir un centre sur ses terres ?
Pour Nicolas Coppée, un premier élément pourrait être pris en compte pour l’avenir. “Le data center de demain va s’inclure dans un mix énergétique plus large. Aujourd’hui, l’un des produits malheureux des centres de données, ce sont les émissions de chaleur, et très peu de data centers les réutilisent. En fonction de la technologie de refroidissement, on va se retrouver avec de l’eau à 25-30 degrés, ou simplement avec de l’air chaud. L’idée pour les bâtiments à l’avenir, c’est de réutiliser ces produits dans un réseau de chaleur, sur le même principe que la géothermie”, révèle-t-il. “Dans ce cas, la présence d’un data center devient intéressante pour une commune. Elle va pouvoir générer des revenus via les impôts ou le foncier, et ajouter un élément dans son écosystème en vue d’obtenir un mix énergétique diversifié.”
Cette intégration dans le tissu urbain pourrait s’avérer capitale, puisque les besoins en centres de données ne devraient faire qu’augmenter au fil de la numérisation de nos sociétés. L’utilité des data centers reste incomprise ou en tout cas sous-estimée par beaucoup de citoyens. Ce qui se cache derrière le nom “cloud” reste un mystère. “Les gens ne comprennent pas que quand ils envoient leur photo sur le cloud, elles doivent être sauvegardées quelque part.”
Un revenu pour les communes ? Le cas étonnant de la “taxe sur la force motrice”
Un deuxième argument pourrait être économique. Dans son analyse, le Washington Post pointe des revenus, via des taxations sur la valeur des équipements informatiques contenus dans les bâtiments, à hauteur de 576 millions de dollars par an pour le comté de Loudoun grâce à ses… 115 data centers. Le comté de Prince William, terre d’accueil de 35 centres, peut compter sur 79 millions de dollars par an. Bref, une belle manne financière.
Sollicitées, les communes disposant de data centers notables comme Saint-Ghislain (Google) et Zaventem n’ont pas répondu à nos sollicitations concernant de possibles revenus liés aux installations présentes sur leur sol. Du côté de Gembloux, l’échevin des Finances Gauthier le Bussy précise “qu’aucune taxation spécifique” n’est appliquée.
En Belgique, pour taxer un data center, une commune pourrait s’appuyer sur la “taxe sur la force motrice” : elle permet en effet d’appliquer une redevance sur toutes les machines et outillages dotés d’un moteur. Toutefois, dans le but d’attirer les entreprises, cette taxe n’est plus systématique et, comme à Gembloux, a été complètement abandonnée. Ce qui n’est pas le cas de Saint-Ghislain…