Faut-il avoir peur des "GAFAM chinois", les BATX ?
Les pratiques des BATX sont-elles réellement plus problématiques que celles des GAFAM ? Paul Belleflamme, professeur d'économie digitale à l'UCLouvain, apporte son éclairage.
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- Publié le 07-06-2023 à 09h59
- Mis à jour le 08-06-2023 à 15h25
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Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi... Ensemble, les BATX pèsent plus de 254 milliards de dollars de recettes annuelles en 2022. S'ils sont encore loin des 1 506 milliards de dollars des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), les quatre géants chinois affichent leur volonté d'acquérir des parts de marché en Europe, espérant bousculer le quasi monopole de leurs rivaux américains.
Convertis aux produits des GAFAM, les utilisateurs européens devraient-ils avoir peur de l'ambition de ces plateformes chinoises ? Pour Paul Belleflamme, professeur d'économie digitale à l'UCLouvain, "si c'est une peur qui éveille la vigilance, oui." Au fond, plusieurs similarités subsistent entre les GAFAM et les BATX.
En premier lieu : ces plateformes offrent le même genre de service. "À la différence près que du côté chinois, et c'est pareil dans d'autres pays asiatiques, il y a des 'super-apps' qui ont une plus grande intégration de services (services bancaires, de télécommunications, de commerce en ligne, NdlR). C'est à l'avantage des consommateurs parce que c'est plus facile d'avoir tout au même endroit mais ça rend très difficile l'exercice de la concurrence par d'autres entreprises."
En effet, il y a ce qu'on appelle "l'effet de réseau" : "Au plus les utilisateurs sont nombreux, au plus la valeur qui leur est proposée augmente." À partir du moment où les clients ont une demande de services plus élevée et sont prêts à payer plus, ils sont naturellement attirés par les plus grandes plateformes. La configuration du marché qui en résulte est "la domination par certaines grandes entreprises au détriment de plus petites et ce, dans n'importe quelle économie dans laquelle les plateformes sont à l'œuvre, que ce soit en Chine, aux Etats-Unis ou en Europe."
Encadrement des mastodontes numériques
Qui dit "grandes entreprises" dit "possibilité d'abuser cette position dominante". Le principal comportement qu'ont les autorités de la concurrence dans le collimateur est celui de l'auto-préférence, auto-preferencing en anglais. Il s'agit, par exemple, d'Amazon qui met en relation les consommateurs et les vendeurs, tout en vendant ses propres produits. "L'entreprise se met donc en concurrence avec les vendeurs qu'elle accueille sur sa plateforme. L'abus potentiel est de donner une préférence plus grande à ses propres produits au détriment des produits des vendeurs". Comme cela a été notifié pour Apple, qui a été accusé de mettre en avant ses produits dans le App Store.
Si la régulation s'est surtout mise en place du côté européen pour essayer de corriger et de prévenir les abus possibles, "il y a aussi un mouvement de durcissement par rapport à ces entreprises en Chine, où la relation au pouvoir est évidemment différente que dans nos démocraties européennes ou américaines. Les considérations n'y sont pas purement liées à l'économie de la concurrence, elles sont aussi liées au fait que les entrepreneurs deviennent peut-être trop indépendants, trop grands, trop influents. Je pense par exemple à la mystérieuse disparition de Jack Ma, le boss d'Alibaba..."

La plus grande différence entre les GAFAM et les BATX réside dans "la volonté du pouvoir politique de protéger la vie privée des individus. Le gouvernement chinois n'est pas aussi impliqué dans la protection des données que le sont les législateurs européens et américains. Une bonne partie des données est récupérée par l'Etat lui-même avec la collaboration plus ou moins volontaire des plateformes. Il y a clairement une volonté du gouvernement chinois d'utiliser les technologies digitales pour pister et davantage contrôler les citoyens."
Un marché européen compliqué à conquérir
Pour Paul Belleflamme, les BATX n'arriveront jamais à remplacer les GAFAM. D'abord à cause de leur incompatibilité avec la régulation européenne. "Dès lors qu'une entreprise a des clients européens, elle est soumise à la législation européenne. Celle-ci est extra-territoriale parce qu'elle s'applique à toute entreprise qui a des activités commerciales en Union européenne", sans y être établie.
Ça fait longtemps qu'on dit que la position dominante des GAFAM pourrait être mise à mal par l'entrée sur le marché européen ou américain des géants chinois. Mais les choses ne se font pas.
Par ailleurs, "ça fait longtemps qu'on dit que la position dominante des GAFAM pourrait être mise à mal par l'entrée sur le marché européen ou américain des géants chinois. Mais les choses ne se font pas. Ni vous ni moi sommes clients d'Alibaba ou de Tencent pour le moment. Pas plus que les GAFAM n'ont un pied en Chine, ou pas énormément." Le professeur explique que la domination des GAFAM rend difficile l'implantation de ces entreprises chinoises. "Ce n'est pas parce que ce sont des mastodontes que c'est plus facile pour elles de venir s'implanter sur un marché où il existe de très gros concurrents."
Pour l'expert, les choses sont claires : "Je ne vois pas très bien ce qui pourrait subitement rendre les conditions plus propices à l'établissement des BATX sur le marché européen. Si on se base sur le fait que ces entreprises existent déjà depuis longtemps, que leur business model n'a pas fortement évolué depuis quelques années, qu'elles ne soient toujours pas implantées dans nos économies, cela laisse penser qu'elles ne vont pas y arriver dans un futur proche."