Sommes-nous tous égaux face à l’indexation des salaires ?
Il existe 200 régimes d’indexation différents. Mais, à long terme, le pouvoir d’achat des travailleurs s’aligne.
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- Publié le 20-05-2022 à 06h36
- Mis à jour le 20-05-2022 à 06h37
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Injustes, les indexations salariales ? Un petit exemple vaut mieux qu’un long discours… Les travailleurs salariés de la Commission paritaire (CP) 200 sont indexés une fois par an, au mois de janvier. Cette année, ils ont eu droit à une indexation de 3,45 %. Les travailleurs du secteur public, eux, sont indexés de 2 % dès que l’indice pivot est dépassé. Ils en ont bénéficié déjà trois fois cette année et le seront encore une fois d’après les projections du Bureau fédéral du plan (BFP). Leur salaire aura donc été relevé de 8 % cette année.
Deux cents commissions paritaires
Ce petit exemple peut être reproduit… des dizaines de fois ! Les modalités d’indexation diffèrent d’un secteur professionnel à l’autre et sont fixées par des conventions collectives de travail (CCT) conclues dans les différentes commissions paritaires.
Dans la fonction publique, c’est la loi qui règle l’indexation des salaires. Concrètement, après chaque dépassement de l’indice-pivot, le Bureau fédéral du plan calcule un nouvel indice-pivot qui doit être dépassé avant de procéder à l’indexation suivante des salaires des fonctionnaires - ainsi que des allocations sociales.
Il existe donc… 200 CP qui donnent lieu à des mécanismes d'indexation différents. Il y a même des travailleurs en Belgique qui ne sont pas automatiquement indexés ! "Sur les 200 commissions paritaires présentes en Belgique, une vingtaine ne disposent pas de l'indexation automatique des salaires car le système n'est pas prévu dans leurs CCT sectorielles (travailleurs employés par des professions libérales par exemple…)", précise-t-on ainsi du côté de la FGTB.
Court terme versus long terme
Alors, on répète la question : sommes-nous tous égaux face à l'indexation ? "À court terme, non, explique Ludovic Dobbelaere, économiste au Bureau du plan. Le temps qui passe entre deux indexations est une période au cours de laquelle le pouvoir d'achat se dégrade." Pour le dire autrement, "ceux qui subissent les pertes les plus importantes dans la situation actuelle - dans un contexte d'inflation élevée - sont les employés qui ne connaissent qu'une seule indexation de leur salaire par an", poursuit l'expert.
"Il faut noter que les CP des secteurs soumis à la concurrence extérieure connaissent souvent une indexation sur une base annuelle", précise une de nos sources. Une façon de préserver un peu la compétitivité. À l'inverse, une indexation mensuelle évite une grande perte de pouvoir d'achat, surtout avec les pics d'inflation observés actuellement, mais affecte plus rapidement la compétitivité des entreprises.
Les gains comparatifs de pouvoir d'achat sont cependant temporaires. "Sur le long terme, précise en effet un expert de la FGTB, tous les travailleurs qui disposent d'un système d'indexation automatique sont indexés du même montant." Et c'est assez logique, enchaîne Ludovic Dobbelaere, car tous les systèmes se basent sur le même indice (NdlR, l'indice santé lissé, basé sur la moyenne des 4 derniers mois de la hausse de l'indice des prix, ce qui représente aussi une petite perte de pouvoir d'achat). Même si, en cas de faible inflation, le secteur public est un peu défavorisé vu qu'il doit attendre que l'indice pivot soit dépassé pour être indexé de 2 %."
Pas de choc pour l’économie
La FGTB confirme que toutes les simulations réalisées ont montré qu'il n'y avait structurellement pas vraiment d'inégalités. "Les indexations mensuelles sont légèrement plus favorables mais elles ennuient les entreprises, car c'est beaucoup de chipotages administratifs pour adapter les salaires", poursuit la FGTB, qui ajoute que le fait que les secteurs aient des timings d'indexation différents permet aussi d'éviter un choc dans l'économie qui pourrait survenir si tous les salaires et allocations étaient augmentés au même moment. "Cela démonte aussi l'argument selon lequel les producteurs ou distributeurs augmenteraient à nouveau leurs prix à l'augmentation des salaires."
De manière générale, il ne faut pas se leurrer, "l'augmentation des prix des matières premières à laquelle nous sommes confrontés génère un appauvrissement général de l'économie. La question qui se pose donc maintenant, c'est celle de la répartition de cet appauvrissement entre les groupes sociaux (ménages, entreprises, État)", poursuit l'une de nos sources, spécialiste de ces questions.
Répartition du choc inflationniste
"Macro-économiquement, le système d'indexation protège les ménages. Ce sont les entreprises qui encaissent le premier choc salarial. Mais, ensuite, la loi de préservation de la compétitivité de 1996 qui encadre les salaires rétablit la situation pour les entreprises car elle va réduire proportionnellement les éventuelles futures marges salariales." D'après les premières projections, les marges seront d'ailleurs effectivement nulles jusque 2025.
Cela dit, les ménages contribuent aussi. De deux manières. "D'abord, l'indexation se base sur l'indice santé, ce qui pénalise les ménages car elle ne couvre pas la hausse du prix des carburants." Ensuite, les hausses salariales génèrent des recettes fiscales supplémentaires, puisque les contribuables voient la progressivité de leur impôt croître. "Cependant, dans le contexte actuel, je suis quand même convaincu que les ménages souffrent moins dans un pays avec une indexation automatique généralisée que dans la plus grande partie des autres pays européens", conclut Ludovic Dobbelaere.
Le mécanismes d’indexation, une histoire qui remonte à plus de 100 ans
Il y a un peu plus de 100 ans, plusieurs conventions collectives de travail (CCT) – secteur bois et ameublement, mines, secteur du livre – prévoyaient déjà l’indexation automatique des salaires, explique une brochure de la FGTB sur l’indexation.
Au fil du temps, l’indexation automatique des salaires s’est élargie à de plus en plus de secteurs. On trouve aujourd’hui environ 200 commissions paritaires (CP) au sein desquelles des mécanismes d’indexation ont été conçus. Très variables d’un secteur à l’autre, d’ailleurs : une indexation annuelle dans un secteur X peut être différente de celle dans un secteur Y, les mécanismes de calcul étant différents. Voici les indexations dans les principales CP du pays (source SD Worx) :
- CP 200 pour les employés (450 000 personnes) : indexation annuelle (3,58 % en 2022).
- CP 302 pour l'Horeca (140 000 personnes) : indexation annuelle (3,219 % en 2022).
- CP 310 pour le secteur bancaire (48 000 personnes) : indexation tous les deux mois (1,3 % en janvier 2022)
- CP 124 de la construction (140 000 travailleurs) : indexation trimestrielle (1,41 % en janvier 2022).
- CP 121 du nettoyage (40 000 travailleurs) : indexation deux fois par an : en juillet et en janvier (2,76 % en janvier 2022).