Francis Hourant (Worldskills Belgium): "Chez nous, la communauté germanophone est en avance"
Francis Hourant, directeur de Worldskills Belgium, fait le point sur les métiers en pénurie ou "métiers d'avenir" et sur les forces de notre pays.
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- Publié le 03-09-2023 à 14h09
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À la tête de WorldSkills Belgium depuis 2009, Francis Hourant a donné un nouvel élan à cette association qui a pour mission la promotion des métiers techniques, technologiques et manuels. Pour lui c’est clair, “L’avenir c’est deux mains” pour reprendre l’un des slogans de l’association belge, membre du réseau Wordskills créé en 1950 et qui rassemble près de 100 pays à travers le monde.
Né à Lège en 1959, Francis Hourant a une formation en Sociologie qu’il a complétée par un diplôme d’agrégation et un diplôme en Communication. Il a exercé pas mal de métiers différents au cours de sa carrière. Il a notamment créé une radio privée – c’était en 1985, au début des radios libres –, a été responsable de la communication d’Anne-Marie Lizin alors secrétaire d’État aux Affaires étrangères, fut directeur adjoint de la carte Jeunes, responsable marketing de Connections, responsable des dossiers Patrimoine pour le ministre président de la Région wallonne Robert Collignon. Il a également été en charge du projet de transformation de l’Abbaye de Stavelot ou encore directeur du cabinet du président du parlement wallon José Happart. “Mais dans tous ces métiers, il y a toujours un lien avec la gestion de projets orientée vers la communication et le marketing”, souligne Francis Hourant, marié et père de deux enfants. Depuis 1995, il est également actif en politique dans sa commune d’Anthisnes où il fut entre 2001 et 2018 échevin en charge du Tourisme, du Patrimoine, de l’Économie, des Travaux publics et de l’Aménagement du territoire. Il y est aujourd’hui conseiller communal (PS-IC).
Avec Worldskills, il estime qu’il a “enfin trouvé sa voie. La fonction offre deux choses que permettent peu d’emplois. Du sens tout d’abord. Être là le lundi matin pour se fixer le chiffre d’affaires qu’on va faire sur la semaine ne me passionne pas vraiment. Ici, je rencontre des jeunes qui ont des projets, évoluent, ont lancé leur entreprise. Le deuxième point essentiel ce sont les émotions. Il y a plein de belles histoires dans Worldskills. Tout cela me réjouit à un point tel que je poursuis ma mission jusque fin 2024 alors que je pourrais être retraité depuis mai.”
La liste des métiers en pénurie ne diminue pas. Et ce dans les trois régions du pays. Cette problématique n’est pas neuve, notamment dans les métiers techniques, technologiques et manuels dont vous assurez la promotion. Comment expliquez-vous cela ?
Quand on parle de métier en pénurie, c’est là le point de vue des entreprises qui ont du mal à recruter de la main-d’œuvre. Nous préférons parler de métiers porteurs d’avenir. Ce sont des métiers où il y a du travail mais aussi qui utilisent les nouvelles technologies. Dans la construction par exemple, ces deux éléments sont liés. On a besoin de maçons, d’électriciens, de couvreurs, mais on parle aussi de Bim (Building Information Modeling), de drones, d’éolien… Dans la technologie automobile, il faudra toujours des techniciens de base mais aussi de plus en plus des diagnosticiens, des techniciens en voiture électriques…
"Il faut encore démontrer aux jeunes et aux parents que c’est une filière d’excellence."
Mais ces métiers techniques et manuels n’attirent pas toujours les jeunes…
Effectivement. C’est pourquoi il faut commencer des actions dès les primaires, auprès des enfants mais aussi, et surtout, de leurs parents. Il y a encore énormément de préjugés. Nous essayons de les sensibiliser notamment lors des Startechdays. Il s’agit d’un événement avec des actions de promotion des métiers techniques, technologiques et scientifiques. Les visiteurs peuvent y découvrir un large choix de métiers dans six secteurs : arts créatifs et mode, technologies de l’information et de la communication, industrie, construction, transports et logistique, et services. On y retrouve en un seul lieu et durant 3 jours des animations de découverte métiers, un espace orientation, des conférences ou encore les finales du Championnat national des métiers. Nous y avons instauré une journée pour les familles. Cet événement permet de démystifier ces métiers et de rassurer les parents en leur montrant qu’il s’agit de beaux métiers et porteurs pour réussir dans la vie mais surtout sa vie. La prochaine édition aura lieu du 12 au 14 novembre à Ciney Expo.
On dit souvent que ces pénuries s’expliquent aussi par le fait que les formations ne correspondent plus au niveau exigé par les employeurs. La formation en alternance, qui combine cours et stage en entreprise, pourrait-elle être une solution ?
L’alternance est devenue un objectif de formation en Wallonie. Mais il faut encore démontrer aux jeunes et aux parents que c’est une filière d’excellence. On voit très bien l’impact positif de l’alternance dans les médailles obtenues lors des compétitions internationales, même si ces résultats ne sont pas un but en soi mais la conséquence d’un système de formation.
Certains pays sont beaucoup plus avancés que nous dans ce domaine.
C’est le cas de la Suisse, l’Allemagne ou l’Autriche par exemple. En Suisse, plus de 65 % des jeunes font leurs études secondaires en alternance, même pour aller à l’université par après. Lors d’une mission en Suisse, nous avions visité un garage. 99 % des 125 personnes qui travaillaient là étaient issues de l’alternance, du technicien au directeur général. Chez nous, la communauté germanophone est en avance. Avec succès : plus de 9 jeunes en alternance sur dix trouvent du boulot dans les six semaines que dure leur formation. Il faudra voir ce que donnera à ce niveau-là la réforme de l’enseignement qualifiant et de la formation professionnelle prévue par le Pacte d’excellence et adoptée par la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région wallonne en 2022.
Quel peut être le rôle d’une organisation comme Worldskills ?
L’organisation est surtout connue pour les compétitions, mais Worldskills c’est bien plus que cela. C’est un mouvement beaucoup plus profond. Le but est d’inspirer les jeunes à travers les compétitions certes mais aussi de développer les formations et même de développer les carrières des jeunes via des bourses de partenaires notamment. C’est de la coopération internationale avec des échanges de bonnes pratiques, des études internationales, des référentiels. L’objectif général du mouvement Worldskills est de devenir “LA” plateforme mondiale d’échanges sur la formation professionnelle pour favoriser le relèvement des niveaux des compétences partout dans le monde.
Et en Belgique ?
Nous sommes en train de labelliser une série de centres de formation et d’écoles. Ces training centers auront un label lié à l’excellence avec deux missions essentielles. Tout d’abord aider à la formation des jeunes que nous prenons sous notre aile au terme de présélections. Nous formons chaque année, en complément à l’école, dix jeunes par métier. À l’issue de ce processus, 6 d’entre eux maximum accèdent à la finale de leur compétition nationale lors des Startech’s Days. Ce sont plus de 300 jeunes qui ont été formés, chaque année depuis deux ans, dans ces Skills Teams. La seconde mission est la veille pédagogique. Les jeunes qui participent à des compétitions à l’étranger et les experts qui les accompagnent reviennent avec des techniques et méthodes nouvelles, une autre approche pédagogique. On voudrait que tout cela soit partagé. Si un formateur désire rester un bon formateur, il doit se tenir à jour.
Afin de valoriser le parcours formatif des jeunes dans leur aventure Startech’s, nous avons créé le Passeport Skills, qui est remis à chaque participant à la fin du processus de formation. Pour chaque jeune, il s’agit d’un “reporting” du parcours de formations basé sur l’expérience acquise lors du processus des Startech’s et qui aura des répercussions tout au long de leur carrière.
Des compétitions internationales pour un impact aussi national

Du 5 au 9 septembre, aura lieu la 8e édition de Euroskills à Gdansk. Vingt-quatre compétiteurs belges y participeront. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Euroskills est le championnat européen des métiers techniques, technologiques et manuels. La première compétition a eu lieu à Rotterdam en 2008. À Gdansk, plus de 500 jeunes compétiteurs mesureront leur niveau de compétences dans plus de 45 métiers durant 3 jours et devant plus de 100000 visiteurs. Euroskills se déroule tous les deux ans en alternance avec le Mondial des Métiers, Worldskills dont la 47e édition aura lieu à Lyon en 2024. Au niveau mondial, ce sont plus de 1400 compétiteurs venant de 85 pays qui mesurent leur niveau de compétences dans plus de 50 métiers durant 4 jours et devant plus de 200.000 visiteurs. Des animations, des conférences en font également des rendez-vous incontournables sur l’enseignement et la formation. C’est une plateforme d’échanges unique entre les mondes politique et de l’industrie. Les 24 jeunes qui composent le Belgian Team 2023 ont passé avec succès le cap des présélections, chacun et chacune dans leur métier. Ils ont ensuite intégré des Skills Teams pour améliorer leurs compétences techniques et soft skills afin de se préparer à la finale du Championnat belge des Métiers lors des Startech’s Days 2022 et se sélectionner pour la compétition européenne. L’équipe de Red Bears, comme on appelle nos jeunes compétiteurs, concourra dans 19 métiers, 5 d’entre eux se déroulant en équipe.
Les métiers pour lesquels vous décidez d’organiser une compétition nationale et de participer éventuellement à une compétition internationale, sont-ils toujours des métiers en pénurie ?
C’est un des éléments, tout comme le besoin social ou une demande des autorités. Mais pour sélectionner des métiers pour la compétition, il faut aussi des partenaires. On travaille actuellement sur plusieurs “nouveaux” métiers : ascensoriste, soins de santé, industrie 4.0, plasturgie, maintenance aéronautique. L’aéronautique, par exemple, est un secteur important en Wallonie mais on n’a pas de formation pour la maintenance. Nous travaillons sur un projet avec des partenaires pour lancer une formation et une compétition dans ce métier. Chaque projet fait l’objet d’une discussion entre le secteur, le public, les entreprises, la formation et nous. En fait pour engager un jeune dans une compétition, il faut des experts – tous ne sont pas prêts à passer des centaines d’heures en bénévolat – des partenaires – on remarque que les secteurs et entreprises sont de plus en plus présents car elles savent notamment que c’est l’image de la Belgique à l’étranger qui est véhiculée – et des compétiteurs bien sûr.
Quel est l’impact d’une compétition internationale comme Euroskills ou Wordlskills ?
D’après diverses études, la participation à une compétition internationale équivaut à 5 années d’expérience professionnelle et humaine. Nos collègues anglais ont réalisé une étude qui montre l’impact fort du mouvement sur la sensibilisation et la qualité des formations. Ils ont calculé que le retour sur investissement était de 2,4 livres à 4,5 livres par livre investie au Royaume-Uni en 2021. Pour la Belgique, j’ai calculé qu’1 euro investi en générait 2 de plus. Le plus important est l’effet direct du programme sur l’amélioration des compétences dû aux formations qui précèdent et qui suivent des compétitions nationales belges (+ de 7000 jeunes sur les 11 dernières années) ou internationales (330 jeunes Belges depuis 1999). Cet effet se refléterait dans l’augmentation des revenus des participants tout au long de leur vie en raison de leurs compétences accrues. Ils sont nombreux à s’installer comme indépendants et à engager du personnel. Les avantages de la participation aux compétitions se répercutent également sur les pairs, car les participants partagent leurs connaissances et incitent leurs camarades de classe ou leurs collègues formateurs à se surpasser. Ils deviennent des rôles modèles. C’est important pour les jeunes. En outre, de plus en plus d’anciens compétiteurs s’impliquent dans la formation et l’encadrement de nos jeunes. Il y a une vraie transmission. Ils décident ainsi de rendre à d’autres jeunes ce qu’ils ont pu eux-mêmes vivre lors de cette expérience unique, humaine et professionnelle.