L'art du Net

WebArt, art digital ou Net Art, il y a un art sur le Net. Encore mal définis, et mal appréciés, ses artistes voudraient qu'on enlève la particule «web» qu'on leur inflige

par amandine.maziers@saipm.com
L'art du Net
©Illu Gaëlle Grisard

DOSSIER

Expositions et visites virtuelles, ventes aux enchères ou encyclopédies en ligne, l'art s'est très vite fait une place sur le Net. À cet art mis en catalogue sur Internet, répond une création originale qui ne vit et ne prend forme que sur la Toile. Les noms s'entrechoquent et résonnent étrangement. Certains parlent de WebArt, d'autres se revendiquent de l'art digital, ou de l'art, tout simplement. Mais tous aspirent à une reconnaissance.

Avant même que l'Internet ne connaisse son développement présent, d'autres réseaux de communication ont été utilisés pour la création. En France et au Brésil, des artistes comme Fred Forest, précurseur français dès les années 1980 d'un art en réseau, se sont appropriés le minitel. Toutes ces oeuvres se sont perdues. Éphémères, il n'en reste plus aujourd'hui que des traces documentaires.

Dès 1989, l'Internet est effectif, mais ce n'est qu'en 1991, avec le premier logiciel graphique de navigation sur le Web, Mosaic, que l'intégration d'images est possible. Le travail de David Blair, à ce propos, retrace bien le parcours de la plupart des artistes du Web. Sa première oeuvre en ligne, Waxweb (http://bug.village.virginia.edu/), en 1994, a d'abord été un film électronique avant que les possibilités techniques lui permettent de se diffuser sur le réseau. L'oeuvre s'est alors retrouvée en constante évolution. 2000 images ont été combinées aux textes de 25 auteurs, puis aux textes des internautes. Puis vinrent le son, la vidéo, l'utilisation des mails. C'est aussi cela l'art sur le Web: un usage constant de la technique.

WEB ART CITOYEN

C'est dans cet usage de la technique même que les artistes trouvent leur vocation: ils favorisent une appropriation lucide de ces technologies. Et n'est-ce pas le rôle de tout artiste que de porter un regard (critique) sur son monde? Reynald Drouhin, professeur des Beaux-Arts en France et membre d'un collectif d'artistes sur le Web (www.incident.net), récuse la catégorisation de Net Art.

Ce jeune artiste de 31 ans a suivi un parcours classique photographie, gravure, peinture qui l'a naturellement mené à l'Internet: «L'Internet est pour moi un médium parmi d'autres. C'est assez drôle de voir que sur le Net tout fonctionne par vagues successives: lorsqu'un logiciel sort, tous les projets web ont les mêmes défauts. J'essaie, plutôt que d'utiliser un logiciel dans la norme, de le détourner»

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Concrètement, cela donne un usage excessif des sons jusqu'à saturation, ou le panoramique utilisé pour d'autres photos que des paysages, d'où un effet imprévu: «Comme le peintre utilise les défauts de la toile, je détourne les contraintes que les logiciels m'imposent pour y trouver de nouvelles ressources».

CONTRIBUTION

Reste que l'essentiel de l'originalité de l'art sur le Web consiste en son interactivité. Sur la plupart des sites, les internautes peuvent non seulement surfer librement dans l'oeuvre, mais ils peuvent y contribuer. Pour les uns il s'agit d'envoyer des photos, pour d'autres des mails. Fred Forest a ainsi mis en oeuvre un ruban sans fin de poèmes et bons mots (www.fredforest.net) dont l'ambition est de «battre» le million de poèmes de Queneau, et surtout de symboliser un véritable pont. En ce sens, signer l'oeuvre pourrait presque ne pas avoir de sens puisqu'elle résulte d'un processus communautaire.

Outre sa participation citoyenne, comme regard critique, la création sur Internet est intrinsèquement dépendante de la technique et de ses coûts financiers très importants. Ce sont finalement des entreprises de création numérique qui promeuvent le plus activement l'art sur le Net. Exemplairement, la petite société lilloise cHmAn, à l'origine du désormais célèbre rasta Banja (www.banja.com), profite de sa notoriété dans le milieu du graphisme pour mettre en avant les artistes. Depuis 1998, elle organise des «jam session»: des performances en «live» d'artistes internationaux du Net, ou «artistes digitaux», qui ont généralement 24 heures pour créer leur oeuvre en public (voir ci-contre).

Il s'agit ici de privilégier l'approche artistique du Web, et les artistes, de leur côté, semblent se refuser à tout compromis mercantile. Reynald Drouhin, qui s'est déjà essayé à la création de sites commerciaux, avoue ne plus vouloir renouveler ce genre d'expériences.

Gregory Chatonsky (voir entretien ci-dessous), qui fait partie du même collectif Incident. net, se limite quant à lui à des projets strictement culturels, «ce serait ridicule de m'aventurer dans d'autres domaines que je ne connais pas»

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MUSEE D'ART DU NET

Et si le problème financier se pose, c'est bien parce que l'art du Net a cette spécificité d'être ouvert à tous, d'être corrolairement difficilement vendable, et très peu exposé dans les musées. Malgré quelques essais fructueux, l'oeuvre Internet n'est pas encore matière à vendre. En 1996, Fred Forest et c'était une première a vendu son oeuvre multimédia «Parcelle/ Réseau» aux enchères. En retour du règlement de 58.000 FF (environ 377.000 FB), l'artiste a fourni aux acquéreurs une enveloppe contenant le code confidentiel d'accès au site. De son côté, Gregory Chatonsky a vendu l'une de ses oeuvres, «Sous- terre», au métro parisien en la gravant sur CD-Rom.

C'est aussi là qu'intervient le problème de la conservation et de l'exposition dans les musées. Monsieur Leen, conservateur au Musée d'Art moderne de Bruxelles, explique ainsi qu'il est sans doute encore trop tôt pour déterminer la valeur de cet art. «En art contemporain, les acquisitions sont risquées et seule une partie de la collection persistera réellement. On préfère dans ces conditions miser sur des valeurs sûres et attendre quelques années avant d'investir»

. Il confie que «si l'intérêt d'une oeuvre d'art se trouve dans l'application d'une nouvelle technologie, en soi, c'est très maigre».

Concernant les conditions d'exposition, là encore la chose est problématique. Non seulement le musée n'offre pas des conditions différentes de celles qu'on peut avoir chez soi ou dans un web-bar, mais visionner l'entièreté des sites présentés dans une exposition prend un temps considérable, «une semaine pour visiter une exposition succincte». Monsieur Leen refuse également que le musée devienne le premier et dernier agent légitimateur, cela doit d'abord passer par les collectionneurs, les critiques, les galeries, et le mouvement est à peine lancé.

Enfin, copier les oeuvres, c'est supprimer leur interactivité et nier ce qui fait leur valeur: leur changement dans le temps et leur «bonification».

© La Libre Belgique 2001


CHmAn: les nouveaux mécènes ? La société lilloise cHmAn, créatrice «d'images et univers connectés», lance le Vector Lounge. Cette manifestation reprend le principe des «Jam sessions», performances en «live» d'artistes digitaux internationaux, développées depuis 1998 par l'entreprise. Le site www.vectorlounge.com, qui fonctionnera début avril, s'enrichira sans cesse des oeuvres entreprises lors de «jam sessions» à venir: les 28 et 29 avril au centre Pompidou à Paris, du 4 au 8 juin au festival international du Film d'animation d'Annecy, en septembre au Festival Ars Electronica en Autriche et en novembre au Flash Forward 2001 en Hollande. Le principe est simple: les artistes ont 24 heures pour créer en direct, et 24 heures pour échanger. «Il s'agit de mettre en valeur des gens différents. Sur certains festivals, des peintres et des flashers travailleront ensemble», explique Damien, du team cHmAn. «C'est une manière de conserver et pérenniser le côté artistique du Web, en oubliant cette fois tout aspect commercial. Autant que ce soit nous qui le fassions plutôt que TF 1 !». © La Libre Belgique 2001

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