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La communication générationnelle occupe une place encore relativement confidentielle dans notre pays. Cette discipline, qui consiste à adapter la communication à la tranche d'âge que l'on cible, semble néanmoins promise à un bel avenir. Aux Etats-Unis par exemple, elle est déjà entrée dans les moeurs publicitaires

PAR LAURENT RAPHAËL

ANALYSE

La communication générationnelle occupe une place encore relativement confidentielle dans notre pays. Cette discipline, qui consiste à adapter la communication à la tranche d'âge que l'on cible, semble néanmoins promise à un bel avenir. Aux Etats-Unis par exemple, elle est déjà entrée dans les moeurs publicitaires.

Elle incarne en quelque sorte un moyen terme satisfaisant entre la communication de masse traditionnelle aujourd'hui quelque peu dépassée et le one-to-one marketing qu'on nous annonce depuis plusieurs années mais qui reste encore très difficile à mettre en oeuvre.

Cette segmentation du message en fonction de l'âge des consommateurs est pertinente dans la mesure où le fossé entre les générations n'a fait que s'accroître ces dernières années. Chacune d'entre elles a désormais ses valeurs, ses repères et sa manière de consommer. Pour un annonceur, il est donc a priori judicieux de calibrer son discours, au risque sinon, s'il persiste à vouloir toucher tout le monde, de servir un message consensuel et fade.

Le lancement par Lipton (propriété d'Unilever) du petit dernier de la famille des Ice Tea non pétillant, même si Green - c'est son nom - est un peu atypique, à la fois dans sa composition - il contient du thé vert - et dans son mode de consommation - il se décline tant en froid qu'en chaud -, s'inscrit clairement dans cette démarche générationnelle. L'agence qui a porté le projet s'appelle Edge Communication. Émanation de l'agence de relations publiques Aptitudes dirigée par Serge Dielens, cette petite structure s'est spécialisée dans le créneau des jeunes et intervient tantôt en direct pour un annonceur, comme le ferait une agence classique, tantôt et plus souvent comme consultant. C'est d'ailleurs à ce titre qu'elle a d'abord été sollicitée par Unilever.

Le groupe souhaite en effet sortir peu à peu sa marque de thé glacé du domaine sportif auquel elle est associée depuis le départ. L'ambition étant de lui conférer une image plus jeune et plus urbaine (elle restera présente dans certains sports, mais uniquement ceux qui véhiculent cette image comme le roller). Dans un premier temps, Edge Communication les a ainsi aidés à identifier les valeurs dominantes de Green sur lesquelles la marque allait pouvoir s'appuyer pour lancer la nouvelle boisson mais plus largement aussi amorcer le virage stratégique de Lipton Ice Tea. `Ces valeurs sont l'authenticité, la nature, l'originalité, l'énergie, mais apaisante, diffuse, et non brutale comme un Red Bull par exemple´, résume Serge Dielens, qui chapeaute également Edge Communication.

Comme beaucoup d'annonceurs qui veulent s'adresser à cette cible tant convoitée que sont les jeunes, Lipton a d'abord choisi d'investir le monde de la nuit. La marque, sur les conseils d'une autre agence cette fois, a ainsi organisé des soirées dans diverses villes du pays au cours desquelles les `early adopters´, c'est-à-dire ceux qui donnent le `la´ en matière de mode et de tendance, étaient invités à s'initier au djembé, au théâtre, à la mode, etc. Avec l'objectif de donner à chacun l'occasion d'exprimer sa créativité.

Une expérience qui ne remporta pas un vif succès. `Ces initiatives manquaient de crédibilité, elles étaient beaucoup trop caricaturales´, commente Chantal Richez, account. Après cet échec, les responsables de Lipton sont donc revenus vers Edge Communication, cette fois pour lui demander d'élaborer une plate-forme de communication mieux adaptée à sa cible.

La différence de méthode entre Edge Communication et une agence standard, et c'est ce qui fait d'ailleurs la spécificité d'une agence qui a choisi un créneau de niche, c'est qu'elle évite d'appliquer simplement des recettes stéréotypées. Elle ne va pas se contenter par exemple d'adapter localement les résultats d'études internationales sur ce que les jeunes sont supposés aimer. `Nous partons de la cible pour élaborer notre plan de bataille, et pas d'un catalogue de clichés´, souligne l'account. Car ce qui compte prioritairement quand on sollicite l'agrément des jeunes, par nature réfractaires au matraquage publicitaire, c'est d'être crédible. `Pour ça il faut bien les connaître, enchaîne Serge Dielens. C'est-à-dire être en phase avec eux. Ce qui implique aussi bien de participer au vernissage d'une expo d'un artiste de la scène hip hop que de fréquenter les bars et les lieux qui bougent. Bref, c'est faire un peu de sociologie active. Et adopter le principe du caméléon.´

Concrètement, les outils les plus adaptés pour toucher les jeunes leaders sont notamment le marketing viral, fort utilisé par exemple par l'agence pour ses campagnes pour Axe, et les magazines branchés comme `Outsoon´, `Move X´, `Sheap´, etc. Dans le cas particulier du lancement de Green, l'équipe a mis l'accent sur le `buzz´, le bruit de fond. Le produit ne sera en effet disponible en grande distribution qu'en février 2003, mais d'ici-là, une série d'actions underground ont et vont être menées pour à la fois installer le produit chez les leaders d'opinion et pour créer une curiosité en vue du lancement grand public.

Cette politique court depuis début octobre et comporte trois volets: le premier avec une distribution circonscrite exclusivement aux `opinion leaders´ (photographes, stylistes, etc.), le second ciblé sur un public un poil plus éclectique (mise en vente dans certains night shop et distribution lors d'événements lifestyle, défilés de mode, vernissage d'expo, etc.), le troisième avec des `exclusive editorials´, ces réalisations graphiques et/ou rédactionnelles à cheval entre la pub et la création pure, qui atterrissent dans les pages des magazines branchés et participent à leur contenu rédactionnel. Chaque étape élargit un peu le cercle des initiés, installe le concept et prépare le terrain pour l'agence above, J. Walter Thompson, qui prendra le relais en février avec une campagne grand public plus classique.

Lipton a consacré à ce lancement hors du commun une partie encore modeste de son budget communication (Axe, qui est à la pointe en matière de communication alternative, y investit de son côté un quart de son budget). Ce qui montre que pour les annonceurs, ces techniques de communication sur mesure relèvent quand même encore de l'expérimentation. On peut toutefois sans risque leur prédire un bel avenir.

© La Libre Belgique 2002

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