L’artisan philosophe
Jean-Marie Tong est heureux dans sa petite ferme en carré de Fize-le-Marsal, où son épouse veille à la bonne marche de la maison. Seul depuis 1980, avec ses deux fils depuis 2007 (Antoine et Philippe), il peut regarder l’avenir avec confiance et se retourner pour observer trente années passées comme indépendant à restaurer des toits de Belgique, mais aussi de France. Le personnage est tout en simplicité, mais on sent chez lui une grandeur d’âme, une fierté douce et une satisfaction du travail bien accompli. Presque pittoresque, à la limite du singulier, curieux même, et de tout bien sûr, il est une sorte de Gérard Philipe de l’ardoise, qui parle aux vieux murs et aux fermes des charpentes comme le comédien déclamait ses vers du Cid ou de Lorenzaccio dans la cour d’honneur du Palais des papes en Avignon.
- Publié le 11-09-2010 à 04h15
Jean-Marie Tong est heureux dans sa petite ferme en carré de Fize-le-Marsal, où son épouse veille à la bonne marche de la maison. Seul depuis 1980, avec ses deux fils depuis 2007 (Antoine et Philippe), il peut regarder l’avenir avec confiance et se retourner pour observer trente années passées comme indépendant à restaurer des toits de Belgique, mais aussi de France. Le personnage est tout en simplicité, mais on sent chez lui une grandeur d’âme, une fierté douce et une satisfaction du travail bien accompli. Presque pittoresque, à la limite du singulier, curieux même, et de tout bien sûr, il est une sorte de Gérard Philipe de l’ardoise, qui parle aux vieux murs et aux fermes des charpentes comme le comédien déclamait ses vers du Cid ou de Lorenzaccio dans la cour d’honneur du Palais des papes en Avignon.
Etre couvreur, faire ou refaire des toits, restaurer des espaces parfois inaccessibles, cela demande patience, force, énergie, calme et précision. Jean-Marie Tong maîtrise tout cela. Il vit pour son activité artisanale et celle-ci le lui rend bien, autant que les clients quand ils sont satisfaits, car ils savent que le travail accompli avec rigueur résistera au temps. La rémunération suit, mais elle est presque accessoire dans une démarche qui est placée au-delà des seuls impératifs économiques. Jean-Marie Tong est comme ça. Ses yeux sont braqués sur l’excellence quand d’autres dans le vaste monde de l’immobilier ne fonctionnent qu’au rendement financier. Peut-être est-il d’un autre temps, mais jamais il n’est désuet et d’autant moins que ses charges officielles le forcent à travailler pour sa corporation, à défendre les collègues auprès des pouvoirs publics. Car ce personnage pittoresque, s’il est proche des nuages, n’en a pas moins les pieds bien sur terre. Cela lui est utile en tant que président de l’Association des couvreurs et plombiers de la province de Liège, mais aussi en tant que membre actif de la Confédération construction toiture.
Naguère encore, il eut des échanges de courrier musclés avec le cabinet de Sabine Laruelle quand il s’était agi de défendre l’accès aux professions. La ministre fédérale ne fit pas ce que les métiers espéraient. Elle ouvrit les vannes de la liberté et tout un chacun peut ou presque s’installer à son compte en se clamant couvreur, charpentier, plombier, zingueur, et on en passe. Jean-Marie Tong est chef d’une entreprise d’ampleur réduite. Avec le secrétariat, sa firme compte huit personnes. Cette firme grandit lentement et elle peut affronter l’avenir car la demande est constante. "Nous ne connaissons pas la crise dans notre secteur artisanal. Il y a toujours de l’emploi à trouver pour ceux qui sont passionnés", dit Jean-Marie Tong.
Le patrimoine ? Jean-Marie Tong adore ça; il a travaillé pour le palais royal de Bruxelles et le château de Laeken, entre autres jolies commandes. Il parle comme un esthète, comme un professeur qu’il fut, avec une soif de transmettre son amour du travail qui touche au cœur, tout en cultivant une modestie sans égale, mais peu méritée. Car si l’homme a du verbe, il a aussi des lettres. Son bureau est une bibliothèque. Là, pour le coup, on le prendrait pour Michael Lonsdale dans "Au nom de la Rose", les poussières en moins. Ses vieux livres consacrés à l’art de construire sont toute sa mémoire, sa force d’inspiration et un appui majeur basé sur la science des anciens. Etre couvreur et ensuite charpentier (la firme commence dans cet art complémentaire grâce à l’un des fils, Philippe pour le nommer), c’est respecter la tradition. Proche du compagnonnage français (les "Compagnons du Tour de France" et de leur école située à Mouchart dans le Jura), Jean-Marie Tong est soucieux de perfection. Or celle-ci s’acquiert par le dépassement de soi. Il y a des valeurs avec lesquelles on ne transige pas.
Notons encore que Jean-Marie Tong est à moitié belge, limbourgeois par sa mère. Il est aussi à moitié chinois par son père qui était venu en Europe pour accéder aux universités occidentales. Comment le père Tong rencontra-t-il sa dulcinée ? Mystère. Qu’importe, le fruit est là, plein de sucre et de miel dans le propos quand il évoque son passé, ses devoirs, ses charges, ses joies de transmettre à ses fils un jour le flambeau d’un beau métier. L’indépendance sied à ce genre de personnes dont le métier et les hommes forment un tissu social dense. Avec ses pairs, il tente de s’épanouir dans une Wallonie qui doit cultiver plus encore les métiers d’art et soutenir l’artisanat. Jean-Marie Tong ne vit que pour l’amour du beau. Son bonheur n’est pas dans la prospérité financière qui rend arrogant. Il est dans l’approche de la perfection et le respect des traditions.