Confessions d’un steward de "low cost"

Un livre plonge dans l’univers des compagnies à bas coût qui ont révolutionné le secteur. Tout y est-il rose? Interview.

Raphaël Meulders
Confessions d’un steward de "low cost"
©Jean-Luc Flémal

Beaucoup de choses irrationnelles se produisent dans un tube métallique lancé à 850km dans les airs : un avion, c’est une salle de spectacle.". Le Français David Edelstein (nom d’emprunt) est steward depuis huit ans, ou plutôt hôtesse de l’air, comme il préfère être appelé ("rendons à Cléopâtre ce qui appartient à Cléopâtre : pour une fois qu’une profession ne se décline qu’au féminin en français.").

Sa carrière, M. Edelstein l’a passé en grande partie sur une compagnie low cost (à bas coût). Un modèle qui a, selon lui, "révolutionné" le secteur aérien. Avec une plume acerbe, mais aussi pleine d’humour, le steward a décidé de raconter son quotidien dans un ouvrage(1). Entre les "délires" des commandants de bord aux salaires mirobolants (jusqu’à 27 000 euros/mois pour ceux travaillant pour "la compagnie nationale") ou les passagers incontrôlables, M. Edelstein veut dévoiler la "face cachée" du secteur. "Mais ce livre c’est avant tout un grand cri d’amour pour le modèle low cost (NdlR: que le steward a toutefois quitté pour "une grande compagnie aérienne"). "On a souvent l’image des compagnies à bas coût qui économisent de l’argent sur tout, sur la sécurité, les salaires, les conditions de travail. Je veux tordre le cou à ces clichés : nous avons les meilleurs contrats d’Europe et la plupart des passagers sont ravis de nos prestations", explique le steward. L’auteur dépeint aussi l’avenir qu’il voit pour le secteur. Avec, là aussi, des surnoms pour chaque compagnie. "Je tiens à préserver mes proches et moi-même : je suis encore sous contrat avec une grande compagnie aérienne", précise-t-il.

Pourquoi avoir écrit ce livre maintenant ?

Le secteur aérien intrigue. Durant un vol, il y a beaucoup de situations cocasses, de petites ou grandes choses que le passager ne comprend pas, ne voit pas. L’humain a encore un rôle primordial et c’est ça qui m’intéresse. L’idée était de dévoiler cette face cachée du secteur.

Votre ouvrage est aussi un éloge au modèle low cost… que vous avez pourtant quitté.

Oui, je suis parti dans une compagnie du Moyen Orient pour réaliser mon rêve : voler sur le plus grand avion au monde. Mais j’ai un excellent souvenir de mes années "low cost". C’est selon moi le modèle qui a le plus d’avenir. On le voit d’ailleurs : les compagnies traditionnelles sont quasiment toutes au bord de la faillite.

Pourquoi ce modèle fonctionne selon vous ?

Le succès du low cost, ce sont les passagers qui l’ont décrété, pas moi. Ce modèle répond à leurs besoins : voyager davantage pour moins cher. On est plus moderne, plus accessible, moins frigide que les compagnies traditionnelles et cela plaît. Au niveau du service clientèle, comme on n’a rien à offrir, un sourire suffit. On promet peu, mais on apporte beaucoup. Les passagers sont rarement déçus.

Ce modèle est-il l’avenir du secteur ?

Oui. En fait la plupart des compagnies se dirigent vers le modèle "middle cost" pour attirer la clientèle affaire qui est le nerf de la guerre. Mais il y a aussi les "extrêmes" low cost, comme la compagnie que je surnomme "Air Subventions" dans mon livre et dont le patron considère les passagers comme des marchandises. Cela va lui jouer des tours. Pour moi, "Air Subvention", - que les gens reconnaîtront mais que je ne peux pas citer - ne fait pas du transport, mais du cargo, du transport de marchandises. Les compagnies aériennes qui survivront en Europe seront celles qui pourront proposer les prix les plus bas avec la qualité de service la plus haute. "Air Subvention" ne propose pas ce modèle-là.

Vous expliquez aussi avoir été particulièrement bien traité dans votre low cost ?

Effectivement. Nous avions les meilleurs contrats d’Europe. A l’époque, je gagnais trois fois le salaire minimum pour travailler un jour sur trois. Notre statut fiscal était particulièrement avantageux.

Donc, tout est rose dans les compagnies à bas prix ?

Non; il y a aussi des inconvénients. Le travail est éreintant avec quatre atterrissages et décollages par jour. Mais l’ambiance entre collègues sauve tout. Rien à voir avec ce qui se passe dans une compagnie traditionnelle. J’en ai fait l’expérience.

Avez-vous un moment pensé quitter le milieu aérien ?

Humainement, c’est parfois très difficile. Quand on entre dans un avion, on ne sait pas ce qui va se passer à 35000 pieds d’altitude, avec des centaines de passagers. Un jour, j’ai dû faire un massage cardiaque à une petite fille de six ans en plein vol. J’ai appris qu’elle n’avait pas survécu. Même si nous sommes très bien préparés, on reste marqué à vie par ce type de drames. Mais l’aérien est ma passion, ma vie. Je me suis promis que je quitterai ce milieu, le jour où j’aurai une naissance à bord. La boucle sera bouclée : j’ai perdu une enfant dans mes bras, je voudrais en accueillir une autre en plein vol.

(1) Confessions d’un steward, David Edelstein; Editions "La boîte à Pandore". 345 pp.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...