Un vent de raison souffle sur la presse
Le rachat de “L’Avenir” par Tecteo redessine le paysage de la presse francophone. Les forces seront mieux équilibrées pour aborder le virage du numérique. Le rapprochement d’IPM Group avec “L’Avenir”/Tecteo reste à négocier.
Publié le 10-09-2013 à 07h23 - Mis à jour le 10-09-2013 à 16h32
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Le leadership de Rossel contesté
Le secteur de la presse quotidienne francophone belge est entré, depuis vendredi, dans une nouvelle phase de bouleversements comme on n’en avait plus connue depuis la fin des années 90 avec la grande bataille autour du groupe Médiabel (l’ancienne appellation des Editions de l’Avenir). A l’époque, il s’agissait déjà de changements affectant l’actionnariat des Editions de l’Avenir, dont le contrôle était assuré par l’Evêché de Namur. L’issue des discussions fut une cession au groupe flamand Corelio (ex-VUM).
Une grosse décennie plus tard, et alors que la presse aborde un virage fondamental sur le plan des technologies de l’information (avec la montée en puissance des supports numériques), on retrouve les deux mêmes acteurs au centre des grandes manœuvres initiées, semble-t-il, par les groupes IPM (“La Libre”, “DH”) et Tecteo. Un processus qui, s’il est validé par les autorités de la concurrence, débouchera sur une vaste recomposition et un rééquilibrage du paysage médiatique dans le sud du pays. Voici quelques clés pour mieux comprendre les événements en cours.
1. Pourquoi les Editions de l’Avenir ont-elles été vendues ? Aussi curieux que cela puisse paraître, le point de départ est à trouver de l’autre côté de la frontière linguistique… Voici quelques semaines, deux poids lourds de la presse flamande – les groupes Corelio (“De Standaard”, “Het Nieuwsblad”) et Concentra (“Het Belang van Limburg”, “Gazet van Antwerpen”) – décidaient d’unir leurs forces au sein d’une entité commune (baptisée Mediahuis). Un choix stratégique destiné à développer leurs activités dans les médias digitaux et à mieux lutter avec leur rival De Persgroep, l’autre acteur dominant en Flandre avec des titres tels que “Het Laatste Nieuws” et “De Morgen”, mais aussi d’importantes participations dans Mediafin (“De Tijd” et “L’Echo”, où on retrouve aussi le groupe Rossel), VTM et plusieurs journaux hollandais. Dans son “deal” avec Concentra, Corelio avait laissé les Editions de l’Avenir de côté, laissant grande ouverte la porte d’une cession. Sollicité par Rossel (“Le Soir” et Sudpresse), Corelio a finalement décidé d’opter pour une cession intégrale des titres L’Avenir à Tecteo.
2. L e rachat de L’Avenir par Tecteo entraîne-t-il une nouvelle concentration de la presse francophone belge ? A ce stade, rien ne change. Nous avions jusqu’ici trois acteurs dans la presse quotidienne francophone belge (Rossel, IPM Group et Corelio/L’Avenir). Demain, Tecteo se substituera à Corelio et on conservera un paysage à trois. Seule différence : là où on avait, avec Corelio, un groupe privé flamand à la manœuvre de L’Avenir, on aura désormais un groupe public francophone. Le capital de la presse reviendrait donc dans des mains exclusivement francophones : la famille Hurbain chez Rossel, la famille le Hodey chez IPM Group et Tecteo à L’Avenir. On soulignera aussi que si Corelio avait cédé L’Avenir au groupe Rossel, ce dernier aurait contrôlé plus de 70 % du marché et aurait fort probablement réalisé une méga-fusion de son pôle régional Sudpresse avec L’Avenir.
3 . Le pôle Tecteo/L’Avenir va-t-il s’allier à IPM ? Si la question est sur toutes les lèvres depuis vendredi, la réponse reste à ce jour indécise. Tecteo et IPM, déjà partenaires au sein de la radio Twizz, ont tout de même fait savoir que leur intention était de créer un “pôle média majeur francophone”, (qui rassemblerait IPM et les Editions de l’Avenir). Mais, à ce stade des négociations, rien n’est encore arrêté sur les modalités de cette entité commune. Sur le plan éditorial, le partenariat entre L’Avenir et IPM aurait du sens. On associerait en effet trois entités complémentaires : “L’Avenir” (référence en matière d’infos régionales), la “DH” (référence en matière d’infos sportives et d’infos générales) et “La Libre” (référence en matière d’infos nationales et internationales). A eux trois, ces médias auraient une force de frappe – tant sur les médias imprimés que digitaux – au moins équivalente aux médias du groupe Rossel (voir notre infographie).
4. Quelle est la stratégie de Tecteo dans les médias ? Outre ses importantes activités dans le secteur de l’énergie, Tecteo a initié, ces dernières années, une stratégie dans le secteur des télécommunications. La première étape fut de rassembler la quasi-totalité des télédistributeurs par câble actifs en Wallonie et à Bruxelles (Brutélé) pour mener l’offensive contre Belgacom sous la marque Voo. Dans la foulée, Tecteo a fait l’acquisition du bouquet de chaînes à péage Be TV. Cela a permis à Tecteo/Voo de développer une offre de télévision digitale interactive compétitive. La stratégie suivie a été de commercialiser des “packs” combinant téléphonie, Internet et télé numérique. Aujourd’hui, Tecteo entend franchir une étape supplémentaire en acquérant des contenus d’information, ancrés localement et de qualité, afin d’en favoriser la diffusion à travers les médias numériques (Internet, smartphones, tablettes, etc.). Pour IPM, comme l’explique Francois le Hodey (lire ci-contre), le rapprochement avec Tecteo/L’Avenir permettrait de renforcer les capacités de croissance du groupe.
Interview de François le Hodey
En quoi IPM Group, qui édite notamment “La Libre Belgique” et la “DH”, est-il impliqué dans l’opération annoncée par Tecteo ? François le Hodey, administrateur-délégué, évoque d’abord le contexte.
IPM Group connaît une forte croissance. D’un chiffre d’affaires de 62 millions d’euros en 2011, nous avons réalisé 76 millions en 2012 et nous atteindrons les 100 millions en 2013. Cette croissance est le fruit de nos investissements dans les médias digitaux et dans de nouveaux marchés comme l’immobilier avec logic-immo.be et les paris sportifs avec betFIRST. be.
Une diversification est nécessaire ?
Nous voulons à la fois réussir la transition numérique de “La Libre” et de la “DH”. C’est un objectif prioritaire car la presse joue un rôle démocratique fondamental. Mais nous voulons aussi accélérer la croissance de l’entreprise sur ces nouveaux marchés connexes, notamment en utilisant notre expertise dans Internet. Tous ces développements représentent de gros investissements.
Vous avez donc recherché un partenaire ?
Il est clair que ces projets impliquent un renforcement des moyens de financement de l’entreprise. C’est pourquoi la famille le Hodey, actionnaire d’IPM Group, a ouvert la piste d’une association. Nous avons confié à la Banque Degroof un mandat qui a conduit à la conclusion que Tecteo était un candidat intéressant et intéressé par nos projets.
La reprise de l’Avenir par Tecteo est donc liée à cette démarche…
Il est exact qu’en parallèle s’est menée une réflexion sur l’opportunité de travailler sur une consolidation du marché de la presse. Et cette réflexion a été précipitée par une offre de Rossel pour acquérir l’Avenir, ce qui aurait débouché sur une consolidation de la presse régionale avec de graves problèmes d’équilibre concurrentiel. Tecteo a donc dû prendre cette initiative d’acquisition.
Quelle sera l’étape suivante ? Une fusion ?
Nous travaillons à un partenariat entre Tecteo et notre groupe familial en vue d’associer, dans une forme qui reste à définir, les activités d’IPM et des Editions de l’Avenir.
Sous quelle forme ?
La forme juridique n’a pas encore été arrêtée mais ce qui compte, c’est qu’un tel projet permettra de créer le premier pôle média francophone en termes de lectorat presse et d’internet news.
Que pensez-vous du débat sur l’implication politique dans les organes de presse ?
Le projet ne peut évidemment pas être un projet politique. C’est avant tout un projet d’éditeurs et un projet économique. Il ne faut pas se leurrer, le succès commercial de cette opération est directement lié au respect de la ligne éditoriale de tous les titres concernés. C’est un point fondamental et la réussite du projet passe par là. Dans nos métiers, il ne faut pas oublier qu’au final, c’est toujours le lecteur qui décide…
Avez-vous établi un calendrier ?
Nous devrions savoir rapidement si ce projet peut aboutir.