Jean-Michel Naulot : "On est très loin d’une gouvernance mondiale"

Les gouvernements ne font rien pour ramener la finance sur le droit chemin : tel est le constat dressé par Jean-Michel Naulot, expert français du monde bancaire et auteur de "Crise financière. Pourquoi les gouvernements ne font rien"..

Ariane van Caloen
Jean-Michel Naulot : "On est très loin d’une gouvernance mondiale"
©D.R.

Nous avons interrogé l’ancien banquier Jean-Michel Naulot sur les sujets abordés dans son livre "Crise financière. Pourquoi les gouvernements ne font rien".

N’avez-vous pas une vision un peu trop noire du monde financier actuel ? Je ne crois pas. Quand on aligne ce qui se fait en matière de régulation et d’action gouvernementale, cela prend des allures inquiétantes. Si on fait le bilan de la régulation depuis cinq ans, les Etats-Unis en sont à 25 % de la feuille de route du G20 et l’Europe à un peu plus de 30 %.

Quelles sont les failles en termes de régulation ?

De nouvelles technologies financières se sont développées depuis cinq ans. Le trading à haute fréquence, qui représente aujourd’hui la moitié des transactions,représentait très peu de chose il y a cinq ans. Or, on sait que cette pratique est systémique, mais n’a aucune utilité économique.

Faudrait-il l’interdire ?

Éventuellement. Dans l’intervalle, on connaît très bien les deux ou trois mesures qui permettraient d’encadrer cette pratique. Il suffit de supprimer un chiffre après la virgule pour limiter les possibilités d’arbitrage, d’introduire un délai de latence, de taxer les ordres entrés mais aussitôt annulés (90 % d’entre eux). Le problème, c’est l’action des lobbies financiers qui sont extraordinairement puissants aux Etats-Unis. En Europe, ces lobbies sont probablement moins puissants mais les gouvernements sont très divisés. Dans la foulée de la crise financière la plus grave depuis un siècle, on avait décidé d’amorcer une gouvernance mondiale. On en est très loin aujourd’hui. On a oublié les bonnes résolutions.

Les liens entre le monde bancaire et le monde politiquLes gouvernements ne font rien pour ramener la finance sur le droit chemin : tel est le constat dressé par Jean-Michel Naulot, expert français du monde bancaire e aux Etats-Unis sont effrayants à vos yeux…

On en a un très bon exemple aujourd’hui. Paul Volcker, l’ancien président de la Réserve fédérale, avait proposé d’interdire l’activité spéculative des banques. Son texte de 30 pages a été, après discussion au Congrès, élargi à 300 pages. Paul Volcker a expliqué que c’était dû uniquement à l’action des lobbies. La portée de son texte a été très diminuée. Et en plus, on hésite à appliquer la loi !

Que pensez-vous des futures normes "Bâle III" qui seront imposées aux banques ? Sont-elles suffisantes ?

Je pense que le fait d’avoir remis à niveau les normes était un travail indispensable. Car celles qui avaient été adoptées en 2004 ont considérablement fragilisé le système bancaire. Ce qui n’est pas abordé, c’est ce que j’appelle la boîte noire. Les ratios de pondération des risques introduits par Bâle II ont pour conséquence que l’allocation des ressources dans le monde est aujourd’hui tout à fait inéquitable. Un crédit à une entreprise très bien notée exige des normes réglementaires pour un montant beaucoup plus faible qu’un crédit à une autre entreprise. Ce n’était pas le cas il y a dix ans.

Cela peut avoir un effet pervers…

Tout à fait. C’est ce système qui donne le pouvoir aux agences de notation.

Un des problèmes n’est-il pas justement que la dette souveraine exige une faible pondération des fonds propres alors que le risque du défaut de paiement est bien réel ?

Effectivement. Vous voyez que la Banque centrale européenne injecte des liquidités très importantes depuis plusieurs années. C’est particulièrement vrai depuis que Mario Draghi préside la BCE. Le fait de pondérer de manière très faible cette dette souveraine incite les banques à emprunter à la BCE, notamment dans le cadre d’opérations "LTRO" à 1 %, et ensuite à investir dans du papier qui offre du 2-3 ou 4 %. Les banques italiennes et espagnoles, et dans une moindre mesure françaises, ont dans leurs salles de trading des montants considérables de dettes souveraines. On peut estimer qu’elles ont l’équivalent de 20 % des PIB italien et espagnol, alors qu’aux Etats-Unis on est à moins de 2 %. Ce n’est pas le métier des banques d’acheter ce papier. La BCE a trouvé ce moyen pour sauver la monnaie unique puisqu’elle ne peut intervenir directement. Patrick Artus a calculé qu’une hausse des taux de 1 % se traduirait pour les banques italiennes par une perte de 40 milliards d’euros.

Que pensez-vous de la politique du président de la Réserve fédérale Ben Bernanke ?

Ben Bernanke, qui a tellement d’admiration pour Milton Friedman, devrait se rappeler que ce dernier disait qu’il faut faire marcher la planche à billets "une seule fois" dans les périodes de récession très profonde. Aujourd’hui, on a une politique monétaire qui dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer. Les liquidités aux Etats-Unis ont été multipliées par 7 depuis 15 ans et, en zone euro, par 4 depuis dix ans. Cela alimente la spéculation.

Faut-il en déduire qu’il y a une bulle spéculative ?

Tout à fait. Il suffit de voir le marché obligataire où la dette publique n’a jamais été aussi importante, donc aussi risquée, et les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas. C’est ce qu’on appelle une bulle. J’insiste beaucoup dans mon livre sur le fait que la progression de la dette publique n’est pas due à la dilapidation des fonds publics par les citoyens. La dette belge est passée de 84 à 104 % du PIB depuis 2007. En France, on est passé de 64 à 92 %. Au Royaume-Uni de 43 à 95 %. C’est l’effet direct de la crise financière. C’est dû à la croissance zéro et aux mesures de soutien pour faire face à la crise. C’est la dette privée qui est à l’origine de la crise dans la zone euro. C’est la raison pour laquelle je critique la politique d’austérité. C’est pour ça que je dis qu’on ne peut pas faire face à une nouvelle crise financière.

Comment éviter cette nouvelle crise ?

Je vois trois dangers. Un : la bulle spéculative. Deux : la crise américaine. Trois : la crise de la monnaie unique. La priorité, c’est d’encadrer la bulle spéculative.

Ne fallait-il pas une politique monétaire très accommodante, notamment de la BCE, pour éviter le pire ? Cela a permis de gagner du temps. Je suis assez pessimiste sur la monnaie unique. Ce qui est indispensable pour éviter un risque systémique en cas d’éclatement de l’euro, c’est que les banques européennes détiennent le strict minimum de dette intra-européenne. De ce point de vue, on a fait beaucoup de progrès.

Pensez-vous que la monnaie unique est un mauvais projet ?

Il y a 20 ans, j’avais écrit que c’était une très mauvaise idée d’avoir une monnaie unique alors que les Etats restaient souverains. De plus, la monnaie unique est une monnaie totalement surévaluée. Cela reflète la politique d’austérité mais aussi la force de l’industrie allemande. Une monnaie surévaluée, c’est catastrophique. Oui, j’ai de vrais doutes. Si on ne donne aucun signe d’harmonisation, je pense que la monnaie unique est réversible. Car, à un moment, les citoyens diront stop.

Défendez-vous la scission entre banques d’affaires et banques de détail ?

Il est très important d’interdire les activités spéculatives. Je n’ai pas du tout compris qu’après les déclarations très fortes qu’avait faites le futur président de la République, le gouvernement français n’interdise pas les activités spéculatives mais qu’il les cantonne. Ce qui n’a aucune portée. On prévoit même dans le texte français une possibilité de recapitaliser la filiale dédiée si elle a des problèmes…

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