2030, année de la fin de la guerre des salaires?

Selon PwC, l’écart salarial entre l’Europe et les marchés émergents sera considérablement réduit en 2030. Ce qui attirera des entreprises sur le sol européen. Plusieurs économistes interrogés mettent en doute ce scénario.

Laurent Lambrecht
2030, année de la fin de la guerre des salaires?
©IPM

Une étude du bureau britannique PricewaterhouseCoopers (PwC) arrive à la conclusion que les écarts de salaires entre pays développés et émergents vont considérablement se réduire à l’horizon 2030. Ceci s’explique par les gains de productivité engendrés dans les économies émergentes ainsi que par l’appréciation de leurs devises. Cela s’explique également par une tendance observée dans les pays développés depuis la fin des années 90 : les salaires y progressent mois rapidement que les gains de productivité.

L’évaluation des futurs salaires est exprimée en dollars et en parité de pouvoir d’achat. L’étude de PwC anticipe qu’entre 2011 et 2030, le salaire moyen britannique va progresser de 35 % à 4 665 dollars. De son côté, le salaire moyen allemand devrait augmenter de 41 % à 4 911 dollars. Porté par les gains de productivité et l’appréciation du yuan, le salaire moyen chinois devrait, lui, être multiplié par quatre sur cette période : de 523 à 2 057 dollars.

Selon PwC, ces évolutions salariales auront des conséquences importantes sur l’économie mondiale. “La Chine va devenir plus attractive en tant que marché que comme lieu de production à faibles coûts”, peut-on lire dans les conclusions de l’étude. Des pays comme l’Inde et les Philippines pourraient remplacer l’Empire du Milieu en tant qu’usine du monde en raison de leurs salaires relativement bas. “Cela se produira uniquement s’ils améliorent leurs infrastructures énergétiques et de transport et si l’environnement des affaires se stabilise”, précise le rapport de PwC.

Relocalisations?

Autre conséquence, la résorption de leur handicap salarial devrait permettre aux pays développés de redevenir plus compétitifs vis-à-vis des actuels pays émergents. Selon PwC, certaines entreprises pourraient envisager à terme des relocalisations sur leur territoire d’origine. “La renationalisation pourrait devenir une option plus intéressante pour les entreprises britanniques, détaille l’étude. Cela s’est vu ces dernières années aux Etats-Unis. Par ailleurs, certaines entreprises pourraient préférer l’Europe de l’Est à l’Asie. Les salaires n’y seront pas aussi faibles mais cette solution offre l’avantage d’être plus proche du siège social”.

Il reste que plusieurs économistes sont sceptiques quant aux conclusions de cette étude de PwC. Notamment en ce qui concerne la possibilité de rapatrier des centres de production en Europe et singulièrement en Belgique. En valeur nominale, les écarts de salaires devraient rester importants. Et l’Europe ne bénéficie pas du boom du gaz de schiste qui permet aux entreprises américaines de réduire considérablement leur facture énergétique.

Pour les économistes Philippe Ledent (ING Belgique) et Etienne de Callataÿ (Banque Degroof), la réduction des écarts salariaux avec les pays émergents ne sera pas automatiquement synonyme de réindustrialisation de l’Europe. Tout dépendra de la façon dont ces entreprises vont anticiper cette évolution. “Si les salaires augmentent dans les pays émergents, c’est en raison des gains de productivité qu’ils enregistrent, explique Philippe Ledent. Cela veut dire que dans le futur, la concurrence des marchés émergents pourra se faire sentir sur des produits à haute valeur ajoutée”. L’économiste d’ING Belgique estime que les marchés émergents resteront de toute façon plus concurrentiels pour la fabrication de produits de base. “Les salaires de ce secteur resteront plus bas qu’en Europe, déclare-il. On pourrait éventuellement observer des relocalisations dans des secteurs à plus haute valeur ajoutée où le coût salarial n’est pas essentiel. Je pense à la production de panneaux photovoltaïques, ou à l’industrie qui emploie une main-d’œuvre plus qualifiée”.

Selon Etienne de Callataÿ, la réduction des écarts salariaux ne sera pas déterminante pour l’économie européenne. “La plupart des études montrent que le coût salarial n’est pas la préoccupation principale dans le choix d’une délocalisation, déclare-il. Si les Etats-Unis attirent des entreprises sur leur sol, c’est pour de multiples raisons. Il est vrai que les salaires chinois ont augmenté ces dernières années alors que les salaires américains sont sous pression structurelle depuis des décennies. Ensuite, la facture énergétique a fortement baissé aux Etats-Unis en raison du boom du gaz et du pétrole de schiste. Il faut également prendre en compte l’évolution future des coûts de transport. La prise en compte des enjeux environnementaux plaide en faveur de la suppression de l’avantage fiscal dont jouit le carburant utilisé dans le transport par bateaux et par avions”.

Selon Etienne de Callataÿ, l’augmentation des salaires dans les pays émergents constitue aussi une opportunité pour les entreprises belges. “Si IBA peut vendre ses machines de protonthérapie en Chine, c’est grâce à l’amélioration du pouvoir d’achat, déclare-il. Et IBA, ce n’est pas que de la recherche intellectuelle, il y aussi la conception industrielle des équipements”.

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