Repenser la mobilité sans a priori

Une meilleure mobilité est l’affaire de tous, surtout à Bruxelles dont la position centrale en fait à la fois une plaque tournante et un lieu de transit expliquant de perpétuels embouteillages de moins en moins acceptés.

Yves de Partz
Repenser la mobilité sans a priori
©Photo News

Et si on prenait un peu de recul ? La responsabilité de la situation actuelle n’incombe pas aux automobilistes mais à des choix de société bien antérieurs : la séparation après la guerre de 1914-1918 des zones de logement, de travail et de loisirs, l’apparition des autoroutes et le moindre intérêt porté aux chemins de fer ont fait passer progressivement le transport des marchandises du rail à la route, avec les files interminables de camions que l’on voit chaque matin dans les environs de Bruxelles ou d’Anvers. Le Prof. Eric Cornelis (Université de Namur), co-responsable en 2010 de l’étude Beldam sur la mobilité en Belgique, évoque une autre référence, les « trente glorieuses »(1945- 1973), période de grande prospérité : « la voiture est devenue le mode de déplacement idéal ; on a conservé les autobus qui s’apparentaient à de grandes voitures, mais les trams et les trolleybus ont été écartés car ils prenaient la place des voitures. »

Ces nouvelles habitudes restent d’actualité. Dans le trafic, un jour ouvrable non scolaire s’apparente davantage à un dimanche ; les autres jours, les ralentissements sont conditionnés par les parents qui déposent leurs enfants à l’école. La pointe du trafic interne en Région bruxelloise se situe dès lors à 8h du matin, peu avant la rentrée des classes. Une situation irrémédiable ? La part de la voiture s’érode à Bruxelles et 35% des Bruxellois s’en passent, y compris pour des raisons économiques. Néanmoins, dans les récents « Cahiers de l’Observatoire de la mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale », les auteurs constatent que « même si les distances parcourues se stabilisent ou se réduisent, la durée des déplacements augmente, signe d’une congestion croissante et/ou d’un mauvais fonctionnement des infrastructures de transport. »

Voilà pour le constat. Que faire ? La Région bruxelloise prône la manière forte et veut réduire la pression automobile de 20%, notamment par la suppression de parkings – dont le plan d’harmonisation tarde à se mettre en route- et, même si Bruxelles Mobilité s’en défend, par des entraves à la circulation pour favoriser le passage vers les transports en commun. « Au lieu de mettre en place des alternatives crédibles à l’automobile, on bloque les automobilistes qui perdent déjà plus de 2 millions d’heures dans le trafic », tonne Touring. Eric Cornelis nuance : « Si on améliore d’abord les transports publics, cela nécessitera des investissements non rentables dans un premier temps ; si on force les automobilistes à choisir un autre mode de transport, on va augmenter les recettes plus rapidement et améliorer l’offre. »

Le Bruxellois marche davantage et privilégie l’abonnement à la STIB

Une bonne nouvelle: plus d’un déplacement sur trois dans la capitale se fait à pied, contre 3,5 à 7,8% à vélo selon le type d’activités. Et puis surtout, la part des transports publics progresse : « le nombre de places au kilomètre a doublé en 10 ans, note Bruxelles Mobilité, grâce à de meilleures fréquences et à des véhicules allongés, mais aussi plus confortables et bénéficiant de l’air conditionné. Ainsi, plus de la moitié des Bruxellois ont un abonnement à la STIB. » A l’inverse, le retard pris dans l’aménagement du RER se fait cruellement sentir.

Tout aussi préoccupant : outre les oppositions traditionnelles entre partis, les communes et les régions sont loin d’être d’accord entre elles sur les meilleures solutions. Et comme on l’a vécu récemment, toute initiative concernant l’aménagement du Ring, de nouveaux parkings de dissuasion ou l’extension de la STIB a des accents communautaires. De son côté, la Febiac prône le remplacement des taxes forfaitaires (sauf les accises sur les carburants) par une taxation au kilomètre prenant en compte le lieu et l’heure d’utilisation. Selon Joost Kaesemans, porte-parole de la Fébiac, « 20% des automobilistes utilisant le Ring de Bruxelles aux heures de pointe pourraient se déplacer à d’autres moments. »

Ainsi, l’automobiliste bruxellois n’échappera pas à une remise en question, surtout si on admet que les navetteurs venant de l’extérieur sont souvent dépourvus d’alternatives. « Sur les 400.000 voitures circulant quotidiennement dans Bruxelles, note BECI, la chambre de commerce bruxelloise, 175.000 sont conduites par des locaux. C’est trop par rapport à l’offre.» Evaluant le coût annuel des bouchons à 511 millions d’euros, la même chambre de commerce estime que, sans évolution notable, sept entreprises sur dix pourraient quitter Bruxelles.

La remarque vaut aussi à Anvers pour les transporteurs qui, incapables de servir leurs clients dans les délais impartis, menacent de délaisser le port. Ailleurs en Belgique et notamment à Liège, Namur et Charleroi, les difficultés sont proportionnelles à la taille des villes concernées. Cette dégradation lente de la mobilité est, quoi qu’on en dise, sans commune mesure avec ce que vivent d’autres grandes métropoles dans le monde. Elle rend d’autant plus difficile un changement radical des comportements individuels. Le moment est pourtant revenu de repenser sa mobilité. Si ce n’est pas l’objectif majeur d’un salon automobile ( !) gageons que le sujet alimentera beaucoup de débats ces prochains jours.


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