Le jour où votre épargne ne rapportera plus rien
Avouez-le : que votre rémunération soit de 0,40 ou de 0,50 % sur votre compte d’épargne, vous vous sentez grugé par votre banquier. À raison ?
Publié le 08-08-2014 à 19h07 - Mis à jour le 08-08-2014 à 20h07
Certains comptes offrent désormais 0,40 % de rendement. n taux de 0 % est-il possible ? Peu y croient, sans écarter de nouvelles baisses.Et dire que les Belges continuent à épargner…
Quand les taux sont bas, le Belge épargne tant et plus
A quand un rendement de 0 % sur les comptes d’épargne ?
La question n’est pas vraiment neuve (LLB du 3 mai 2013). Elle avait été posée dans la foulée d’une baisse de taux annoncée par BNP Paribas Fortis, qui faisait alors passer de 0,90 à 0,70 % la rémunération globale de la plupart de ses comptes. Aujourd’hui, plusieurs banques proposent des rendements de… 0,40 %. C’est dire si l’on n’est plus loin du 0 %. Alors, c’est pour quand ?
Peu y croient, pourtant, à ce scénario catastrophe pour l’épargnant. "Aucune banque ne voudra être la première à faire la Une des journaux avec une rémunération totale de 0 % sur ses livrets d’épargne classiques", estime ainsi Pieter De Ryck, de la banque privée Van Lanschot, qui propose des comptes d’épargne en ligne à haut rendement depuis la fin 2013 sous le nom d’Evi. " La rémunération la plus basse du marché s’élève à peine à 0,40 %, donc cela ne laisse d’office pas beaucoup de marge pour de nouvelles baisses ".
De nouvelles baisses ne sont toutefois pas à exclure. " Il est fort probable que les tarifs baisseront encore" , souligne-t-on chez Axa Banque. " Si les taux d’intérêt sur le marché restent encore faibles pendant longtemps, une baisse des taux d’épargne n’est pas exclue", remarque, pour sa part, BNP Paribas Fortis, leader du marché.
C’est également le sentiment de Peter Vandenhoute, chef économiste chez ING Belgique, pour qui les rémunérations les plus faibles pourraient encore se tasser dans les mois à venir. Un rendement de 0 % lui paraît toutefois " invraisemblable", en tout cas pour les particuliers. Pour des raisons commerciales, notamment. " Il est toujours difficile de récupérer des clients perdus. C’est pourquoi les banques essaieront de ne pas aller trop bas". Argenta n’y croit pas, non plus. " En cas de taux à 0 %, les clients transféreraient probablement un solde plus élevé à leurs comptes à vue ou garderaient plus d’argent en espèces".
Peter Vandenhoute n’écarte pas, par contre, un taux de 0 % pour les entreprises, qui sont obligées de maintenir leurs avoirs en compte et ne peuvent, comme les particuliers, mettre leur argent "sous le matelas" .
Si plusieurs comptes offrent un rendement de 0,40 %, d’autres restent plus généreux, autour de 2 %. " Un tel taux me paraît intenable ". Les offres à "haut rendement" devraient donc, à terme, tourner autour du 1 %, du moins pour les banques travaillant sur le marché belge.
Epargne "pompée"
Plusieurs banques internet se contentent en effet de "pomper" l’épargne en Belgique pour ensuite la transformer en crédits dans un pays étranger, les Pays-Bas, par exemple. Or, rappelle Peter Vandenhoute, les taux des crédits y sont plus élevés, ce qui permet du coup à ces banques d’offrir une rémunération plus élevée sur les comptes d’épargne belges.
" Le rendement des comptes d’épargne est influencé par la concurrence entre les banques belges et les banques européennes actives sur le marché belge" , remarque Isabelle D’Haeninck, porte-parole de Crelan. De quoi inciter les banques belges à rester malgré tout compétitives. Ce sont du reste des banques européennes qui proposent les taux les plus intéressants : que ce soit MeDirect (Malte), NIBC, Evi et Moneyou (Pays-Bas), ou encore Fortuneo (France).
Les comptes les plus rémunérateurs sont de type "fidélité". Ce type de comptes, faut-il le rappeler, privilégie la prime de fidélité dans le rendement global. Ce rendement est supérieur aux comptes classiques.
Revers de la médaille, vous devez laisser les sommes versées en compte pendant au moins douze mois. De nombreux épargnants optent ces derniers temps pour ces comptes. "La répartition est de 80/20 en faveur des comptes de type fidélité pour les versements effectués au cours de l’année écoulée" , souligne Valentine Vaquette, porte-parole chez Axa.
Placements alternatifs
La faiblesse des taux pousse des épargnants à se tourner vers d’autres horizons. "Il y a clairement un intérêt accru pour des placements alternatifs : les assurances-épargne de la Branche 21, l’épargne-pension et les fonds de placement", témoigne Karel Puttemans, product manager chez Rabobank.
Le mouvement est général - toutes les banques l’évoquent - mais limité. "Le Belge continue à épargner et à favoriser une solution moins rémunératrice mais sans risque ", explique Beobank.
Même à des taux historiquement bas, le Belge continue donc à se tourner vers le compte d’épargne. C’est tout à fait… normal, selon Peter Vandenhoute. "La corrélation entre les montants placés sur les comptes d’épargne et les taux proposés est négative" , explique le chef economiste d’ING Belgique. " Cela veut dire que le Belge épargne moins quand les taux sont élevés. Cela peut paraître bizarre, mais, quand les taux sont élevés, le contexte économique est bon et l’aversion au risque est faible. Quand les taux sont faibles, cela veut dire que la conjoncture est morose et que l’incertitude règne ".
Il est dès lors à parier que le bas de laine des Belges grossira encore dans les mois à venir, de quoi battre le dernier record en date à plus de 254 milliards d’euros sur l’ensemble des comptes d’épargne.
Votre banquier est-il un voleur ?
Avouez-le : que votre rémunération soit de 0,40 ou de 0,50 % sur votre compte d’épargne, vous vous sentez grugé par votre banquier. À raison ?
"Un des facteurs déterminants pour le taux d’intérêt sur les comptes d’épargne est la politique monétaire par la Banque centrale européenne. Actuellement, le taux directeur s’élève à 0.15 %" , rappelle Beobank. Il s’agit d’un taux à très court terme.
Ce taux n’est pas le seul à influencer la rémunération des comptes d’épargne. "En moyenne, l’argent déposé sur un livret de dépôts reste en compte pendant 2/3 ans" , souligne Peter Vandenhoute.
Les banques peuvent donc placer une partie de l’argent frais à un horizon de 2/3 ans. Or, le taux du marché à trois ans est de… 0,40 %. Bref, si votre compte vous rapporte 0,40 % ou 0,50 %, vous êtes en ligne, en quelque sorte, avec le taux du marché.
Un taux peu élevé peut aussi avoir pour objectif de ne pas trop attirer d’argent frais, ou de vous aiguiller vers d’autres formes de placement. Le métier de banquier consiste en effet à transformer l’épargne en crédits aux particuliers ou aux entreprises.
Or, si la demande ne suit pas, la banque n’a aucun intérêt à attirer de l’argent frais dont elle ne sait, finalement, que faire. Le tout est bien entendu de la jouer finement : un taux suffisamment bas pour être rentable mais suffisamment élevé pour éviter de faire fuir ses clients vers d’autres cieux.
Sur du velours
Les grandes banques jouent généralement sur du velours, pouvant compter sur la fidélité - ou la passivité - de nombre de leurs clients. " Le niveau des taux est devenu tellement bas qu’il devient peu engageant de faire la démarche de changer de produit ou de banque" , note Axa Banque. " Le client ne se laisse pas uniquement guider par le niveau du taux d’intérêt dont pourrait bénéficier son épargne. D’autres facteurs jouent également un rôle : le profil de risque de la banque, le réseau d’agents, la richesse de l’offre".
Des banques peuvent toutefois se montrer plus rémunératrices. Plusieurs raisons à cela. Il y a bien entendu le fait qu’elles peuvent replacer l’épargne récoltée à meilleur taux. C’est par exemple le cas aux Pays-Bas où le taux des crédits est plus élevé qu’en Belgique.
Il y a aussi le fait qu’elles peuvent vivre de placements antérieurs plus fructueux.
Ainsi, l’ancien General Manager de Rabobank, Stephan Vermeiren, expliquait en novembre 2012 que sa banque pouvait encore rémunérer l’épargne des clients à des taux de 2 % grâce au placement d’une partie de l’épargne récoltée précédemment à des échéances de 5 ans. Des placements rémunérateurs qui viennent progressivement à échéance.
Stephan Vermeiren prédisait alors que Rabobank serait elle aussi obligée de baisser le taux de rendement, vers les 1 %, sans doute dans les deux ans, si les taux du marché restaient bas. Ce qui a été le cas. Il n’était pas loin du compte. Rabobank propose aujourd’hui des rendements globaux de 1,30 et 1,40 % sur ses comptes d’épargne.