Annoncer une restructuration, cette communication complexe
Pour le public, les annonces de restructurations se suivent et se ressemblent. Pourtant, quand on y regarde de plus près, l’annonce donne le ton et présage la suite. Une chronique de François Lambotte, professeur à l'Université catholique de Louvain.
Publié le 30-08-2014 à 12h18 - Mis à jour le 30-08-2014 à 12h27
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Une chronique de François Lambotte, professeur à l'Université catholique de Louvain (Mons) et directeur du Laboratoire d'analyse des systèmes de communication des organisations (LASCO) et Vice-Président COMU (site de Mons).
Pour le public, les annonces de restructurations se suivent et se ressemblent. Pourtant, quand on y regarde de plus près, l’annonce donne le ton et présage la suite.François Lambotte Professeur à l’Université catholique de Louvain, Mons Directeur du Laboratoire d’analyse des systèmes de communication des organisations (LASCO) Vice-président COMU (site de Mons) Selon un rapport HIRES, la communication est un facteur qui a une incidence sur la santé des travailleurs dans les restructurations. Nos recherches (soutenues - commanditées - par le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale) mettent en évidence que les grandes étapes de l’annonce sont souvent les mêmes. Cependant, la variabilité des réactions à celles-ci suggère que leur mise en œuvre diffère grandement d’une organisation à l’autre. En décryptant l’annonce (sa rapidité, le porteur du message, son niveau de préparation), il est possible de mieux comprendre les réactions qu’elle engendre.
L’annonce est-elle faite rapidement ? L’objectif de la direction est d’informer sur le projet de changement l’ensemble des membres de l’organisation de façon plus rapide que les syndicats ou à tout le moins au même rythme que les syndicats. Cette rapidité dans l’annonce est mise en avant lorsque les relations avec les syndicats sont fragiles ou peu construites. Cette course va de pair avec cette vision d’une annonce du changement qui nécessite la création d’un choc, d’une rupture. "On a convoqué un CE extraordinaire, le matin très tôt. Au moment où on a passé le slide des chiffres et avant les questions-réponses, j’ai reçu un signal pour envoyer la communication à tous les informateurs qui allaient devoir communiquer, cascader l’information; on les appelait les cascadeurs, c’est ça. En moins de deux heures, les 2 000 personnes avaient été informées par leurs managers." Grande entreprise ayant mené une restructuration - source anonyme.
Qui porte le message ? Selon nous, celui qui décide communique. Comment faire confiance à quelqu’un qui n’assume pas ses décisions ? L’annonce de la restructuration chez Caterpillar Belgium est réalisée par Nicolas Polutnik, CEO, Carolo et ancien DRH de l’usine. Ce n’est pas un choix anodin : il est impliqué, il connaît les représentants syndicaux et assume son plan industriel. A l’opposé, Lakshmi Mittal n’a jamais annoncé personnellement ses plans industriels.
Quelle est la qualité de la communication ? Les multiples erreurs de communication dans les premiers jours qui ont suivi l’annonce de la restructuration chez Delhaize et dont les titres de presse relèvent les maladresses ("Le patron de Delhaize ne parle qu’aux Delhaiziens et fâche les syndicalistes", "Delhaize envoie un faux numéro d’assistance psychologique à 15 000 travailleurs", "Delhaize : les syndicats scandalisés par l’absence du patron au conseil d’entreprise") témoignent d’un manque de préparation du processus par la direction et son staff de communication. Ces événements fixent les opinions et les perceptions et rendent les négociations d’autant plus difficiles.
A contrario, les annonces qui se déroulent selon un scénario millimétré, quasi militaire, démontrent une grande préparation (parfois six mois avant l’annonce) qui s’élabore dans le plus grand secret. Parfaite d’un point de vue technique, elle n’en est pas moins violente pour les employés qui ne l’avaient pas vue venir… Elle est souvent vécue comme une trahison et mène à des grèves comme ce fut le cas chez UCB en 2008 ou chez Carrefour en 2010.
De manière générale, au-delà du choc lié à la perte potentielle de son emploi, la violence de l’annonce sera d’autant plus forte qu’une rupture marquée est faite avec le passé de l’organisation, avec sa culture, le style de communication maison. Cette rupture aggrave la situation parce qu’elle provoque une perte de repères et un accroissement de l’incertitude, source de stress chez les employés. Certaines entreprises ont fait le choix de travailler autrement, comme Ethias qui, face à la crise bancaire, a décidé de réduire les salaires de tous (à commencer par le comité de direction) plutôt que de procéder à des licenciements. Cette décision s’appuyait sur l’élaboration d’une nouvelle culture d’entreprise socialement responsable. Mais les bons élèves sont rares…
A paraître cette automne : un guide et une formation sur la communication responsable en période de restructuration édités par le SPF Emploi visent à sensibiliser et à former l’ensemble des parties prenantes de ces processus afin qu’ils prennent conscience des leviers de communication (positifs ou négatifs, leurs vertus et leurs dangers) à leur disposition. Auteurs : Ch. Donjean et F. Lambotte