A qui profite la baisse de l’euro?
La monnaie unique est au plus bas depuis deux ans. Malgré cela, le niveau d’inflation reste inquiétant. Les exportateurs sentent déjà la différence, contrairement aux entreprises dépendantes des matières premières. La politique de la BCE n’est pas sans conséquences pour le consommateur et l’épargnant. En voici la preuve.
- Publié le 01-10-2014 à 19h11
- Mis à jour le 02-10-2014 à 14h05
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La monnaie unique est au plus bas depuis deux ans. Malgré cela, le niveau d’inflation reste inquiétant. Les exportateurs sentent déjà la différence, contrairement aux entreprises dépendantes des matières premières. La politique de la BCE n’est pas sans conséquences pour le consommateur et l’épargnant. Les biens importés des Etats-Unis seront plus chers et les rendements des comptes d’épargne poussés à la baisse.
L’euro baisse, mais pas suffisamment ?
La monnaie unique est en baisse constante face au dollar depuis plusieurs mois. Alors que l’euro valait encore 1,36 dollar au début du mois de juillet, il est retombé à 1,26 dollar cette semaine. Comment expliquer ce recul ?
"Les baisses successives des taux d’intérêt décidées par la BCE ont fait fuir les capitaux vers les Etats-Unis , explique Bruno Colmant, professeur d’économie à l’UCL. Et comme on se dirige depuis plusieurs mois vers une déflation en zone euro, ce phénomène de fuite des capitaux s’est accentué. Les investissements sont moins rentables lorsqu’on est en déflation."
Double objectif
En baissant ses taux d’intérêt, la BCE voulait faire pression sur l’euro dans un double objectif : favoriser les exportateurs européens en rendant leurs produits plus compétitifs et faire monter le taux d’inflation en rendant le coût de l’énergie plus cher.
"En ce qui concerne les exportations, la baisse de l’euro va avoir un effet bénéfique , déclare Bruno Colmant. On estime qu’un recul de 10 % de la monnaie unique face au dollar rapporte environ 1 % de croissance."
En revanche, malgré la baisse de l’euro, le taux d’inflation n’est pas reparti à la hausse. C’était pourtant l’un des objectifs de la BCE. Pire, au mois de juillet, l’inflation est tombée à 0,3 %, son niveau le plus faible depuis octobre 2009. "Au niveau mondial, la demande de pétrole reste faible , explique Bruno Colmant. La baisse du prix du baril exprimé en dollars compense donc la baisse de l’euro face au billet vert."
Certains analystes estiment d’ailleurs que l’euro est encore trop cher. Selon eux, la monnaie unique devrait reculer jusqu’à 1,15 dollar.
"Il faudra acheter de la dette publique"
Selon Bruno Colmant, il faudra plusieurs années pour que la zone euro sorte du piège de la déflation. "La BCE a trop attendu avant de prendre des mesures fortes. On a perdu deux ans , explique-t-il. La situation est tellement grave qu’elle sera obligée de lancer une opération similaire à celle de la Réserve fédérale américaine. Il faudra acheter de la dette des Etats. Mais cela, ce sera dans plusieurs mois."
Jusqu’à aujourd’hui, l’Allemagne s’est vigoureusement opposée à la mise en place d’un programme de rachat d’obligations d’Etat. Ce jeudi, le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne se réunit à Naples. Son président, Mario Draghi, devrait se contenter d’apporter des explications au sujet des mesures annoncées lors de la dernière réunion de septembre. Parmi elles, figure le rachat d’actifs "ABS" et d’obligations sécurisées. Le but de ces opérations est de relancer le crédit en zone euro.
Certaines entreprises sont perdantes
On sait qu’un euro fort a tendance à pénaliser les entreprises européennes qui exportent en dehors de la zone euro. Louis Gallois, l’ancien patron d’EADS, aimait rappeler que le résultat d’exploitation d’Airbus baisse d’un milliard d’euros lorsque l’euro s’apprécie de 10 centimes par rapport au dollar.
La baisse continue de la monnaie unique observée ces derniers mois est donc a priori une bonne nouvelle pour les exportateurs européens. Du côté d’Agoria, on relativise cependant son impact. La fédération des entreprises technologiques emploie 275 000 personnes en Belgique. Et 33 % de son chiffre d’affaires est généré par les exportations en dehors de la zone euro.
"Quand on prend l’ensemble des entreprises membres d’Agoria, l’impact d’une hausse ou d’une baisse de l’euro face au dollar est nul , explique Patrick Slaets, senior manager chez Agoria. Cependant, il y a bien des gagnants et des perdants ." Les gagnants sont logiquement les plus gros exportateurs. On peut citer des entreprises comme Caterpillar, Atlas Copco, Picanol, Siemens, Volvo ou encore Audi.
En revanche, d’autres entreprises sont pénalisées car elles achètent des matières premières facturées en dollars. Par exemple, Umicore ou Aleris doivent s’approvisionner en métaux non ferreux. Bekaert ou CMI sont dépendantes des produits métalliques. Les fonderies comme Allard, Magotteaux ou Pedeo sont également pénalisées par la hausse du dollar face à l’euro.
Précisons que certaines entreprises se couvrent contre les fluctuations des devises. Mais cela a un coût.
Encore heureux que l’or noir ne flambe pas
Quelles sont les conséquences concrètes, pour le consommateur que vous êtes, de la politique de la Banque centrale européenne ? C’est fort simple. " L’effet induit est un affaiblissement de l’euro par rapport au dollar", résume Geert Gielens, économiste en chef chez Belfius Banque.
Conséquence directe : les biens importés libellés en dollars augmentent. "La politique influence le prix des produits énergétiques comme le pétrole. Souvent, ces biens sont négociés en dollars américains et si le billet vert renchérit, ces produits suivent" , poursuit Geert Gielens.
Pourtant, les prix du mazout de chauffage et des carburants ne s’enflamment pas vraiment depuis que l’euro est malmené sur le marché des changes. C’est que le prix du pétrole a eu, dans le même temps, la bonne idée de baisser, encaissant du coup l’effet devise pour nos portefeuilles. Tel n’est pas le cas pour les autres biens importés des States. "Tous les produits que l’Europe importe des Etats-Unis sont en fait concernés : leurs prix étant exprimés en dollars américains, ils coûteront plus cher dans les magasins européens."
Si vous avez profité de l’euro fort - du moins plus fort qu’aujourd’hui - pour aller aux States durant l’été, vous avez été bien inspiré. La baisse de l’euro semble être un long processus. Si la BCE adopte une telle politique de baisse des taux, ce n’est pas en soi de gaieté de cœur. C’est pour relancer la mécanique alors que l’Europe est encore loin d’avoir retrouvé une forme olympique. "La relance économique n’a pas encore vraiment débuté" , rappelle, si besoin en était, l’économiste en chef de Belfius Banque, alors qu’aux Etats-Unis, l’économie est, là, "relancée" .
L’épargnant n’est pas vraiment à la fête
Depuis le temps, le discours des banques est rodé. Lorsqu’elles vous annoncent une nouvelle baisse de rendement sur les comptes d’épargne, elles ne manquent pas de pointer le doigt vers la Banque centrale européenne (BCE), responsable de cette baisse des taux. " En raison de la baisse du taux de refinancement par la Banque centrale européenne et de la diminution des taux d’intérêt sur les marchés financiers, Belfius Banque a décidé de revoir à la baisse les taux en vigueur sur ses comptes d’épargne ", communique ainsi Belfius Banque.
Vous pouvez bien entendu changer le nom Belfius par n’importe quelle autre banque. La baisse est générale.
En quoi cette satanée BCE est-elle responsable ? En fait, une partie de l’argent que vous déposez auprès de votre banque repart tout aussi vite vers d’autres cieux. Logique : pour vous rémunérer, il faut faire travailler votre argent. L’une des pistes c’est de placer l’argent à court terme. Or, les taux à court terme sont au plus bas dans la foulée de la politique de la BCE. Bref, cela ne rapporte quasiment rien. L’autre piste, ce sont des placements à moyen terme. Là encore, ce n’est pas la joie.
Pour les crédits hypothécaires, l’influence de la politique de la BCE se fait également sentir : elle influence favorablement, pour l’emprunteur, les taux sur les crédits hypothécaires. C’est toutefois à nuancer. "Le taux des crédits hypothécaires n’est pas uniquement basé sur le taux de la BCE ", rappelle KBC. " Nous nous basons sur des taux à long terme alors que le taux de la BCE est un taux à court terme ." Il faut également tenir compte des coûts de liquidité, de risque, de capital…